Lors de l’inauguration de sa Philharmonie, Jean Nouvel est dans la tourmente. LE PARISIEN MAGAZINE d’Aujourd’hui en France a enquêté sur ce chantier qui le ruine. Le plus célèbre des architectes français répond aux questions de LUCAS BRETONNIER et éclaire sa folie créatrice qui ont fait de lui le coupable idéal pour expliquer le dépassement du budget de la Philharmonie de Paris, multiplié par trois. C’est l’autre blessure de ce projet pourtant superbe !

A l'occasion du 10éme anniversaire de La Serpentine à Londres en 2010
A l’occasion du 10éme anniversaire de La Serpentine à Londres en 2010

Jean Nouvel se masse les tempes, le regard perdu. Rien ne peut apaiser le plus célèbre des architectes français – l’homme est connu jusqu’à Hollywood, où les stars de cinéma Angelina Jolie et Brad Pitt ont prénommé leur fille Shiloh-Nouvel en son honneur. Attablé au deuxième étage de son agence, cité d’Angoulême à Paris, dans laquelle travaillent une centaine de personnes, le patriarche de 69 ans est inquiet. L’objet de son angoisse ? La Philharmonie de Paris. Tel un père qui attend, fébrile, des nouvelles de son enfant, Nouvel, toujours de noir vêtu, légion d’honneur épinglée à la veste, se ronge les sangs. L’inauguration de cette luxueuse salle de concert classique, le 14 janvier 2015 dans le parc de la Villette à Paris, ne sera-t-elle pas une grande fête ? « Joker, lâche-t-il, dépité. Le chantier n’est pas terminé. On est loin du compte. Il ne se passe pas cinq minutes sans que j’y pense. »

Pourquoi la Philharmonie est-elle devenue le cauchemar du lauréat 2008 du prix Pritzker (le nobel de l’architecture), créateur de l’Institut du monde arabe, de la Fondation Cartier et du Musée du quai Branly à Paris, de la tour Agbar à Barcelone (Espagne) ou du musée du Louvre Abu Dhabi, aux Emirats arabes unis… Comment celui qu’on a accusé de faire flamber le budget de sa dernière œuvre en date, jusqu’à la somme astronomique de 386 millions d’euros, s’est-il débrouillé pour y perdre de l’argent, une réputation et même un ami ?

Les projets publics, à perte

La première dissonance, la plus intime et la moins connue, est venue de son vieil ami Michel Pélissié, qu’il connaît depuis la fin des années 1960. Cousin de sa première épouse, cet ancien élu communiste d’Antony (Hauts-de-Seine) est un homme d’affaires de 68 ans au physique de rugbyman. En 1994, Jean Nouvel l’appelle à la rescousse quand il fait faillite, ruiné par la crise immobilière et par l’abandon du projet de la « Tour sans fin » – un gratte-ciel de 92 étages à La Défense, pour lequel il avait dépensé beaucoup de temps et d’argent. Son ami rachète toutes les parts de l’entreprise. Puis, il en cède la moitié à l’architecte. Entre 1994 et 2012, les deux actionnaires forment un duo complémentaire et efficace. Président-directeur général des Ateliers Jean Nouvel (AJN), Pélissié assure la gestion financière. Jean, la création. Au beau fixe durant quatorze ans, leur relation se dégrade vers 2008.

« Après son Pritzker, Jean a perdu le sens des réalités », affirme Michel Pélissié, entre deux gorgées de vin, en bon viticulteur qu’il est devenu. L’année précédente, un désaccord avait entamé leur entente : la Philharmonie de Paris, déjà, le plus enthousiasmant des projets culturels français. L’architecte en rêve. Le financier, lui, craint que l’entreprise n’y laisse des plumes. « On venait de perdre 5 millions en réalisant le Musée du quai Branly. Quand j’ai appris qu’on avait gagné le concours de la Philharmonie, j’étais à Saint-Pétersbourg, en Russie. J’ai tout de suite dit que je ne voulais pas le faire. La contrepartie financière était ridicule, comme pour Branly. Au lieu de 18 % d’honoraires, rémunération normale pour un projet aussi complexe, on nous donnait 11,5 %. C’était de la folie. Mais je n’arrivais plus à raisonner Jean. A une époque, il m’écoutait. Si un client me disait “Nouvel est en train de changer un truc, ça va nous coûter le double !”, je parvenais à le ramener à la raison. Mais depuis quelque temps, il n’en faisait plus qu’à sa tête. »

L’architecte, lui, accuse son PDG de ne pas avoir assez bien négocié le contrat. Les reproches pleuvent. Le 12 décembre 2012, à 12 heures, les deux hommes se séparent. Jean Nouvel rachète les parts de son associé pour 3 millions d’euros. Puis, au début de l’été 2014, il porte plainte contre lui pour abus de bien social. « Michel Pélissié a pillé les Ateliers Jean Nouvel ! », tonne l’un des avocats de l’architecte, maître Patrick Maisonneuve.

Les 14 000 bouteilles de la discorde

« Nous avons effectué un audit de la société et constaté un certain nombre de mouvements d’argent très suspects », avance prudemment le nouvel associé de l’architecte, François Fontès. Des transferts de fonds importants entre les AJN et plusieurs sociétés de Pélissié, plus d’1 million d’euros de travaux de réfection du domaine viticole bordelais appartenant à Michel Pélissié réglés par l’entreprise, 14 000 bouteilles de vin du même domaine, facturées 867 900 euros, et jamais livrées… La liste des accusations est longue, comme l’atteste la vingtaine de pages de la plainte que nous avons pu consulter. Le montant du préjudice, selon le plaignant, atteint plusieurs millions d’euros. « Cette affaire est terrible. Je me suis fait escroquer », tempête Jean Nouvel. PDG des Ateliers Jean Nouvel de 1994 à 2012, Michel Pélissié nie en bloc les accusations de l’architecte, qui a porté plainte contre lui pour abus de bien social.

L’accusé, lui, a du mal à respecter son vœu de silence : « Cette histoire est assez douloureuse pour moi. Travailler avec Jean fut une très belle expérience. Mais il veut me tuer car il ne supporte pas qu’on le quitte. Comme dans un divorce : celui qui se fait larguer dénonce l’autre au fisc. Pendant vingt ans, tous les employés de la société ont bu mon vin. Aujourd’hui, on dit que les bouteilles n’étaient pas livrées ? Ces accusations sont infondées. La justice le dira. » Un de leurs proches tente une synthèse : « Jean n’est pas exempt de reproches. Et il ne se plaignait pas de Pélissié, à l’époque, quand ils menaient grand train tous les deux : les restaurants étoilés, les voyages en première, les palaces… Jean Nouvel a un côté Johnny Hallyday : il gagne beaucoup d’argent, mais en dépense encore plus ! »

« Ce n’est pas un homme d’argent »

C’est vrai, le fils de professeurs originaire du Lot-et-Garonne a les poches trouées. Récemment, il a commencé à s’inquiéter de l’avenir, notamment pour sa fille de 22 ans. Mais jusque-là… « Je le connais depuis trente ans, ce n’est pas un homme d’argent », assure François Fontès, son nouvel associé. Il en a pourtant gagné beaucoup. Rémunéré grâce à un système de redevance de nom, une sorte de droit d’auteur, habituel dans le milieu, Jean Nouvel percevait à ce titre 10 % du chiffre d’affaires encaissé par les AJN, soit entre 2 et 4 millions d’euros par an, en plus de ses 120 000 euros de salaire annuel, comme le prouvent les comptes de l’entreprise. Au total, entre 1994 et 2012, 27 millions d’euros ont atterri sur son compte en banque (et 13 millions sur celui de son associé). Et ce n’était que de « l’argent de poche » : ses déplacements (plus de 300 000 euros pour l’année 2011) et ses repas au restaurant sont payés par l’entreprise.

Grands crus, Ferrari et restaurants étoilés

Pourtant, l’architecte star se dit criblé de dettes. « Je ne possède rien, clame-t-il. C’est la conséquence d’une vie de passions. » Et d’une incapacité à gérer ses comptes. L’homme n’a jamais investi, ni enraciné sa fortune quelque part. Etonnant pour un tel bâtisseur : il ne s’est même pas fait construire une maison. « J’aimerais bien, mais je n’ai pas les moyens ! » se lamente-t-il. Ses millions, il a préféré les dépenser dans des grands crus, quelques belles voitures (il roulait en Ferrari) et de gargantuesques tablées au restaurant. « Jean était très généreux, témoigne une consœur qui a commencé sa carrière chez lui.
Il aimait beaucoup travailler autour d’une bonne table. Ces derniers temps, il nous recevait à Saint-Paul-de-Vence, dans les Alpes-Maritimes, où il vit dans l’ancien appartement d’Yves Montand : atterrissage à Nice, taxi jusque chez lui. Il sort de sa chambre en peignoir, fait quelques longueurs dans la piscine, puis nous rejoint au restaurant. » Cette vie de cigale en a charmé plus d’un (et plus d’une). Le problème, c’est qu’il fait preuve de la même légèreté dans les affaires…

« Je ne sais pas gérer », admet-il. Comment le pourrait-il, lui qui avoue construire « pour marquer l’époque » ? Cette mégalomanie, propre aux grands édificateurs, ne va habituellement pas de pair avec une gestion de bon père de famille. Avant de remporter le concours pour ériger le musée des Arts de la Chine, projet du siècle, Jean Nouvel disait : « Si je gagne Pékin, je serai le plus grand architecte du monde. » Sacrée ambition ! Les AJN ont dépensé 2,5 millions d’euros en salaires, maquettes, recherches, dessins… pour y arriver. Heureusement pas en vain pour la santé financière de son entreprise. « Personne ne résiste à la volonté de Jean Nouvel, analyse Francis Soler, l’architecte du bâtiment du ministère de la Culture, concurrent malheureux pour le projet de la Philharmonie. C’est un rouleau compresseur. Un vrai fou : il ne vit que pour ça. » Dans ces extraits des comptes des Ateliers Jean Nouvel figurent les rémunérations de l’architecte entre 2009 et 2012. Ainsi que ces dépenses « remarquables » : la location d’une Porsche et 326 000 euros de frais de déplacement…

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Site officiel de l’atelier JEAN NOUVEL:
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Portrait et oeuvres de Jean Nouvel:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Nouvel

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