Claudie Haigneré, Présidente du conseil d’administration du Palais de la découverte est également présidente de la Cité des sciences; Elle apporte son regard d’expert au Cahier de prospective Ujjef dont l’ambition est de proposer à la communauté des communicants, des pistes de réflexion et d’action pour s’engager résolument dans des démarches de communication responsable*. En réaction au brief « Vers de nouveaux modes de communication », Claudie Haigneré livre son témoignage pour l’Ujjef.

L’évolution technologique présentée vous semble-t-elle réaliste ? Sinon vers quels outils allons-nous en termes de communication dans les années à venir ?

-Claudie Haigneré : « En partie, oui. Si l’on peut entretenir quelques doutes concernant l’utilisation des neutrinos ou la reconnaissance olfactive à l’autre bout du monde en 2035, les communications simultanées son, image 3D holographique seront sans doute réalisables. A mon avis, le champ de la recherche sur les interfaces homme-machine, qui a connu des évolutions considérables ces dernières années, a beaucoup d’avenir. Et pas seulement pour les victimes d’accidents ou de pathologies sensorimotrices Ce secteur me paraît d’autant plus ouvert qu’il nécessite des approches interdisciplinaires très innovantes. C’est pour cette raison qu’il sera particulièrement mis en valeur par le grand établissement de culture scientifique du Palais et de la Cité dont les pouvoirs publics m’ont confié la responsabilité.
Toutefois, l’essentiel ne se situe pas dans l’évolution technologique elle-même, mais dans la façon dont les hommes vont ou pas se l’approprier. Le système que vous décrivez sera véritablement révolutionnaire s’il nous permet un jour de devenir meilleurs, plus intelligents collectivement et s’il nous aide à mieux vivre ensemble. Je pense par conséquent que les possibilités techniques de communiquer autrement sont tout aussi importantes que le contenu des messages échangés.
Enfin, je ne sais pas si en 2035 le rôle de l’Etat consistera encore à mettre en place des dispositifs ou seulement à réguler et à contrôler des flux. S’agissant des TIC, je me demande d’ailleurs s’il sera encore pertinent de raisonner en termes de « territoire » tant notre rapport à l’espace topologique aura été bouleversé.

Quelle peut être la part de l’innovation dans la résolution des enjeux environnementaux ?

-Claudie Haigneré : Les questions environnementales ne connaissent pas les frontières étatiques. Elles sont globales, complexes à appréhender et touchent tous les pays, même si certains sont plus vulnérables que d’autres face aux défis qui nous attendent. Les innovations peuvent évidemment participer à la résolution des grands enjeux sur l’environnement et le développement durable. C’est justement ce que l’Observatoire des innovations de la Cité tente de démontrer à travers quatre exemples concrets dans les domaines de l’énergie, la chimie, la gestion du trafic aérien et l’hydrogène en partenariat avec Siemens, l’Union des Industries Chimiques, Thales et Air Liquide. En ce sens, il est important de sensibiliser les jeunes à l’intérêt que représente l’innovation, notamment en matière industrielle et technologique, pour parvenir à concilier croissance et préservation de notre planète dans un développement durable.
Cependant, une innovation ne peut évidemment à elle seule résoudre tous nos problèmes, d’autant que les divergences d’intérêts autour des questions technologiques ou encore sur la protection de la propriété intellectuelle ne manquent pas entre les Etats, les chercheurs ou les entreprises. Selon moi, la politique de l’innovation devrait donc être envisagée dans le cadre d’une coopération mondiale. Ce mode collectif de gouvernance internationale des questions environnementales et de l’innovation est d’ailleurs en train de s’imposer, comme en témoigne le Sommet de Copenhague des Nations Unies consacré à la lutte contre le changement climatique. Je précise que nous y avons participé pleinement en organisant à la demande du Danish Board of Technology une grande consultation citoyenne au plan national sur les questions qui seront abordées par les délégations lors du Sommet. C’est selon moi une manière intelligente de participer activement à ces débats qui nous concernent tous.

– Comment concilier « principe de précaution » et « saut technologique » ?

Claudie Haigneré : Je ne vois pas d’antinomie majeure entre principe de précaution et saut technologique. En 2005, le Parlement français a inscrit le principe de précaution dans notre Constitution. De philosophique, il est devenu un principe juridique et politique. Cette évolution n’est pas étonnante dans les sociétés du risque dans lesquelles nous vivons et, bien sûr, compte tenu des préoccupations légitimes des citoyens face aux possibilités ouvertes chaque jour par les découvertes scientifiques. Que l’on songe seulement aux nanotechnologies! Mais consacrer le principe de précaution, qui s’applique dans des conditions très précises, ne signifie pas renoncer à l’innovation. D’après moi, il s’agit plutôt de définir un cadre général dans lequel doivent s’inscrire les sauts technologiques.
J’ajoute que les véritables sauts technologiques ne se produisent que lorsque les populations acceptent et, plus encore, s’approprient pleinement les innovations. Le principe de précaution peut bien sûr être utilisé à mauvais escient comme un moyen de refuser tout progrès. Mais cette posture me paraît difficilement tenable au moment où nous avons plus que jamais besoin d’être innovants et créatifs pour faire face aux défis qui nous attendent dans les domaines de l’énergie, de l’environnement, de la santé, de l’alimentation, de la démographie, etc. En ce sens, le principe de progrès mériterait sans doute de figurer lui aussi dans notre texte constitutionnel, aux côtés de celui de précaution.
Quoi qu’il en soit, dans ce contexte général, notre responsabilité de « passeurs » de sciences consiste plus que jamais à proposer aux visiteurs de nos institutions les outils nécessaires pour se forger eux-mêmes un jugement éclairé, nourri et distancié sur ces questions complexes de science et de société. C’est en tout cas l’une des ambitions que je veux donner au grand établissement de culture scientifique que je dirige ».

Source:Ujjef Communication et Développement durable
Propos recueillis par Philippe Mollière (décembre 2009)

* Fruit d’une démarche à la fois collaborative et créative, en phase avec la culture associative et prospective de l’Ujjef, le Cahier de prospective Ujjef a été élaboré par une équipe d’experts – communicants, prospectivistes, consultants spécialisés dans le Développement Durable – et de jeunes créatifs. Document visuel, il permettra à chacun de se projeter et d’imaginer l’avenir de la communication d’ici 2035.
Pour consulter le Cahier de prospective Ujjef :
http://developpement-durable.ujjef.com/index.php

La boite à outils de l’Ujjef:
http://developpement-durable.ujjef.com/FAQP.php

La Cité des Sciences:
http://www.cite-sciences.fr/fr/cite-des-sciences/

A la Cité des Sciences: Exposition MA TERRE PREMIÈRE pour construire demain:

Les nombreuses expériences présentes dans cette exposition eco-conçue, vous permettront de comprendre comment et pourquoi il est possible de construire en terre crue. Il est temps de redécouvrir ce que vous avez sous les pieds…On peut construire des maisons juste avec des maisons en terre:

http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expositions/ma-terre-premiere/index.php