Interview exclusive de Bruno Léchevin et de Philippe Pelletier.À l’occasion du 6e Congrès national du bâtiment durable (du 4 au 6 octobre) , à Dijon-Chenôve le 6 octobre 2017, Bruno Léchevin, président de l’Ademe, et Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable, ont répondu aux questions de Planète Bâtiment sur les 4 enjeux de la réhabilitation durable.Et sur la stratégie à adopter pour aider les personnes « précaires énergétiques », un Français sur cinq. Soit 2,7 millions de logements énergivores. Interview par batijournal !

Philippe PELLETIER , le 1er octobre 2016
Philippe PELLETIER , le 1er octobre 2016

Planète Bâtiment : Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a fixé comme objectif d’éradiquer la précarité énergétique en 10 ans Sachant que nous avons du mal aujourd’hui à tenir les objectifs des précédents gouvernements, que faut-il mettre en place pour y parvenir ?.

-Philippe Pelletier : Éradiquer la précarité énergétique répond au moins à quatre différents enjeux :
-1)écologique, car une maison qui chauffe l’air extérieur, ce sont des émissions de gaz à effet de serre importantes et que l’on pourrait limiter facilement ;
-2) économique, car ces ménages disposent d’un reste à vivre très faible et améliorer la performance énergétique du logement conduit à des économies de charges ;
-3) sanitaire, car la précarité énergétique induit des conditions de santé difficiles, et plusieurs études, à l’étranger comme en France, ont montré l’impact sur la santé des occupants ;
-4) et enfin social, car la carte de la précarité énergétique se superpose à celle de territoires périurbains et ruraux, où les habitants se sentent trop souvent abandonnés par les pouvoirs publics.

La priorité, c’est de permettre la rénovation des logements et d’aider financièrement ceux qui ne peuvent pas le faire. .

-Bruno Léchevin : Quand on est dans une perspective de transition énergétique, ne pas traiter sérieusement la question sociale serait antinomique avec notre volonté de construire une société plus équitable, plus respectueuse des ressources, plus solidaire. Réussir cette évolution suppose d’embarquer tout le monde, y compris les plus fragiles. Les précaires énergétiques sont de plus en plus nombreux et, aujourd’hui, un Français sur cinq est touché. En faisant de la lutte contre la précarité énergétique une priorité, le Plan Climat contribue à une insertion digne des populations fragiles dans notre société. Les moyens publics mis en œuvre pour inciter à la rénovation thermique n’ont jamais été aussi importants : CITE, TVA à taux réduit, éco-PTZ, CEE, soutiens de l’Ademe et de l’Anah… Pourtant, les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il faut donc renforcer notre action.

-Philippe Pelletier : Cette multiplicité des dispositifs pose également question. Nous ne pouvons plus nous permettre de souffrir du manque de lisibilité et de coordination entre ces différentes aides. Il est maintenant essentiel de traiter efficacement la question de la gouvernance si l’on souhaite atteindre les nouveaux objectifs du Plan Climat : le changement de braquet est absolument nécessaire !

Que devons-nous traiter en priorité ? Quels sont les leviers à activer ? Quelle est la place des territoires dans cet ensemble ?

-Bruno Léchevin : L’urgence sociale, c’est de permettre à chacun de s’éclairer et de se chauffer dignement, il faut donc aider financièrement ceux qui ne peuvent pas le faire. Mais il ne faut pas que ce soit un puits sans fond. La priorité, c’est de permettre la rénovation des logements de ces populations. Le Gouvernement s’est engagé à publier à la rentrée une feuille de route.

Outre l’évolution ou la création d’outils centrés sur la performance énergétique, les propositions porteront sur une gouvernance et un pilotage renforcés et coordonnés des actions publiques en matière de rénovation énergétique. Le gouvernement se fixe l’objectif de la disparition des 7 millions de « passoires thermiques » en 10 ans. 4 milliards d’euros du plan d’investissements seront dédiés à ces actions. Un accompagnement proposera, à chacun, une solution de rénovation et de financement adaptée. Les premiers audits auront lieu dès début 2018, afin que les travaux puissent être terminés avant l’hiver 2018-2019. C’est au cœur des territoires que se déclinera cette politique. La mobilisation de chacun, et au niveau local, des collectivités territoriales, s’impose pour réussir à relever le défi.

Les offres des acteurs privés et les collectivités en renfort pour traiter plus de logements et massifier notre action avec le programme Habiter Mieux.

-Philippe Pelletier : Si nous visons l’éradication des passoires thermiques chez les ménages très modestes,C’est-à-dire environ 2,7 millions de logements, cela revient à multiplier par trois les objectifs actuels assignés au programme Habiter Mieux de l’Anah (100 000 logements à rénover en 2017), alors que ce chiffre semble déjà difficilement atteignable. Ce changement d’échelle nécessite, sans doute, une approche davantage industrielle du sujet. Il faut accepter l’idée que des offres – aujourd’hui portées par des acteurs privés – peuvent nous aider à traiter plus de logements et à « massifier » notre action, et cela en parfaite complémentarité avec le programme Habiter Mieux. Bien entendu, le rôle des territoires est primordial pour accompagner cette mobilisation de tous. Ce sont les collectivités qui ont le pouvoir d’agir au plus près de nos concitoyens.

Interview menée par Stéphane Miget pour Planète Bâtiment