C’est un événement majeur pour tous les acteurs de la «massification» de la rénovation énergétique des maisons individuelles.On connaissait les objectifs pour rénover efficacement (47% de l’énergie est consommé par les bâtiments),les freins (coût/m2) et les contraintes mais on n’avait pas de méthode pour généraliser les bonnes pratiques.Le rapport présenté le 18 juin dans le cadre d’une mission de l’institut négaWatt et de la SEM Energies Posit’If pointe ce qui ne marche pas et pourrait fonctionner pour s’attaquer à ce parc des 8 millions de maisons énergivores construites avant 1975.

Olivier SIDLER, co-fondateur de l’Association et de l’Institut négaWatt.

Le rapport pointe ce qui ne marche pas et qui pourrait fonctionner pour s’attaquer à ce parc représentant 25% des logements français (8 millions construits avant 1975. 1975 c’est la première année de référence du bâtiment moderne, celle de la création de l’agence des économies d’énergie, l’Ademe, suite au premier crash du prix du pétrole. Depuis la norme RT2012, la mobilisation du gouvernement, des acteurs de la rénovation et des collectivités, après des années de conférences et de R&D, passent enfin à l’action. Au delà de la méthode, l’originalité de ce rapport est de conclure sur trois faits majeurs qui conditionnent un nouveau modèle économique.

Trois conclusions marquantes du rapport

Au delà de la méthode, l’originalité de ce rapport est de conclure sur trois faits majeurs interdépendants :
-1/que l’action de « rénover par étapes offre davantage de risques de pathologies et de performance dégradée que de combinaisons gagnantes ».
-2/ Ce nouveau modèle économique pour la rénovation à la fois requiert et favorise une montée en compétences des professionnels, des travaux performants et une simplification financière.
-3/ L’acheteur d’un bien endetté peut solder le prêt (valorisation patrimoniale) ou payer les mensualités à la place du chauffage.

Resté dans la zone grise des politiques de rénovation, le secteur du pavillonnaire diffus concentre des problèmes de précarité sociale et énergétique. Le titre de l’étude « Résorber la précarité énergétique et rénover les passoires thermiques – Solutions innovantes et prêtes à déployer pour rendre accessible à tous la rénovation performante des maisons individuelles » est aussi offensive et approfondie que l’exigence des acteurs de négaWatt. Une réputation d’efficacité et de volonté de faire-savoir qui a souvent dérangé la filière nucléaire en France.

L’ étude originale , téléchargeable sur le site de l’institut négaWatt** a été présentée, le 18 juin à Paris, à des experts et élus avides de méthodes pour accélérer les rénovations des maisons individuelles. « Un parc spécifique qui relève du privé, engendre des externalités négatives pour les collectivités, dont les problématiques sont peu prises en compte et qui nécessite des réponses appropriées », a introduit Marianne Louradour, directrice régionale pour l’Île-de-France de la Caisse des Dépôts, qui a financé l’étude dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA) « Ville de demain ».

Une réponse à la précarité sociale

Réalisée à la demande de la ville de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), l’étude souligne que ce parc rassemble un grand nombre de passoires énergétiques « avec la spécificité que les ménages en sont les maîtres d’ouvrage mono-décisionnaires », contrairement à la situation qui prévaut dans une copropriété. « Cette étude de portée nationale n’est qu’un début, l’intention est d’aller au-delà et de mobiliser le maximum de collectivités et d’acteurs de la rénovation pour déployer de bonnes pratiques issues d’expérimentations déjà conduites », motive son maire, Xavier Lemoine.
Fondée sur des retours terrain, notamment les enseignements issus de l’expérience rhônalpine DORéMI (dispositif opérationnel de rénovation énergétique des maisons individuelles) et d’autres initiatives régionales (« rénovateurs BBC » en Basse-Normandie, « Je rénove BBC » en Alsace, « Oktave » dans le Grand Est, etc.), elle doit servir d’appui au lancement, dès la rentrée prochaine, « de pilotes opérationnels concentrant sur des territoires de taille suffisante les acteurs et ressources en faveur de l’émergence d’une rénovation complète et performante, en priorité pour les ménages en précarité », soit 5,6 millions de foyers précaires énergétiques.Le maire de Montfermeil est bien placé pour observer dans sa commune une « spirale de dégradation de ce parc où se sont déplacés de nombreux problèmes sociaux ». En jeu, le phénomène des marchands de sommeil pratiquant la division pavillonnaire. Des outils de rénovation énergétique seraient-ils utiles pour lutter contre ? De prime abord, les deux enjeux semblent éloignés. Il n’en est rien, selon ce rapport, qui estime que « la rénovation énergétique offre en réalité une formidable réponse à ces ménages en précarité ».

Ne plus rénover par étapes

Premier enseignement de l’étude : rénover une maison en plusieurs fois est contre-productif. Par rapport à une opération unique, un foisonnement de travaux énergétiques mène à de moindres économies, augmente le nombre et l’importance des ponts thermiques et aboutit à des coûts plus élevés. L’étude remet en cause l’intérêt des opérations de type « isolation des combles à un euro » subventionnées par les certificats d’économie d’énergie (CEE) et qui, sans traitement global de l’étanchéité à l’air, ne permettent pas d’atteindre de bonnes performances. De même pour le remplacement des fenêtres qui ont pourtant « absorbé l’essentiel du crédit d’impôt depuis des années ». Les réflexes en place ne seraient donc pas bons, des techniques massivement utilisées tendraient à « tuer le gisement » des économies d’énergie et les rénovations performantes de maisons individuelles se font rares. Ce constat de rareté de la rénovation performante « se retrouve à l’échelle européenne ». En outre, combiner des travaux inappropriés favoriserait l’apparition de risques de pathologies en partie liés à la dégradation de la qualité de l’air intérieur.
Structurer l’offre locale

Il faut dire que l’offre actuelle n’invite guère à la cohérence : « Les menuisiers changent les menuiseries, les plaquistes réalisent l’isolation, les chauffagistes posent les chaudières. Sans réelle articulation entre eux, sans prise en compte suffisante des interfaces et des interactions. Et sans offre construite et optimisée d’intervention auprès des ménages », critique Vincent Legrand, gérant de l’institut négaWatt. Pour rénover, les habitants se tournent vers des artisans locaux « qui se croisent sur les chantiers et ont fait le choix de leur métier pour pouvoir travailler en indépendant ». Offre structurée et coordination des travaux ne sont généralement pas au rendez-vous. Or c’est « la condition nécessaire à l’obtention de rénovations énergétiques performantes », insiste l’étude : « Parler d’épaisseur d’isolant importante, de traitement rigoureux des ponts thermiques, de ventilation performante ou même d’étanchéité à l’air reste exotique et en décalage chez la majorité des professionnels du bâtiment et de leurs formateurs. »

Trouver un modèle économique

Comment rendre accessible cette rénovation « complète et performante » et ces travaux « réalisés en une fois au niveau BBC-rénovation » ? Comment la sortir d’un « marché de niche, réservé aux ménages aisés » ? Problème n°1 : le manque de trésorerie des ménages. L’étude cite des cas de ménages qui n’ont pu mener à bien leurs projets de rénovation malgré un budget bouclé et abondé de nombreuses aides (Anah, région, CITE, CEE). Même si le reste à charge est de quelques milliers d’euros, cela coince. L’étude suggère de simplifier l’accès aux mécanismes financiers actuels en mettant en place « un dossier unique de financement pour les ménages, un traitement maîtrisé en termes de délais, et une lisibilité des propositions de financement formulées aux ménages ». Vu le maquis des aides actuelles, cette étape de simplification serait salutaire. Pour Vincent Legrand, « les structures de tiers-financement peuvent réaliser ce travail de paravent, de simplification d’accès à des prêts simplifiés ».
Étape suivante : proposer au ménage un prêt « équilibré en trésorerie dont les mensualités sont du montant des factures de chauffage avant travaux ».

Autrement dit, « cet équilibre en trésorerie permet de payer des mensualités de prêt au lieu de factures de chauffage ». Une telle « offre unique de financement » devrait en outre aller plus loin et préfinancer si besoin les travaux. L’étude assure que ce n’est pas que de la théorie. Que « les retours d’expérience sur un nombre significatif de chantiers » montrent qu’il est possible de rénover dans cette approche systémique en transformant les factures de chauffage « en mensualités de prêt d’un montant équivalent tout en atteignant la performance visée au niveau national ». Et ce avec des durées de prêt raisonnables « inférieures à dix-huit ans ».
Simplifier l’outil financier ne suffit pas : « Il faut garantir que les travaux conduiront bien à la performance attendue en s’appuyant sur un tiers de confiance qualité. Et compte tenu des investissements nécessaires aux yeux des ménages, bien supérieurs aux investissements courants pour les travaux, un tiers de confiance est indispensable pour aider les ménages à comprendre l’intérêt de la démarche. Un rôle d’accompagnement de proximité principalement joué par les collectivités et leurs partenaires », ajoute l’étude. La confiance est un point faible actuel : « Les ménages ont très peu confiance dans les professionnels du bâtiment et ont besoin de ce tiers de confiance. » Pour Xavier Lemoine, le maire est le mieux placé pour rassurer ses administrés sur la pertinence des choix qu’ils font.

Vers des prêts à la rénovation attachés à la pierre

Systématiser ces rénovations implique à terme une autre innovation pour toucher des profils de ménages « âgés, déjà endettés, ceux qui comptent déménager prochainement ou qui ne veulent pas s’endetter, ainsi que les propriétaires bailleurs ». Cette innovation fait beaucoup parler mais n’existe pour l’instant pas en France : il s’agit d’un prêt à la rénovation attaché non à la personne mais à la pierre. « Ce type de prêt existe au Royaume-Uni (attachement au compteur électrique des prêts travaux) et aux États-Unis. Chez nous un mécanisme peut s’y apparenter : le prêt Avance Mutation créé par la loi de transition énergétique sur la base du prêt viager hypothécaire. Malheureusement, il n’est pas distribué », précise Xavier Lemoine. Intérêt de l’attachement à la pierre : déplacer la responsabilité du paiement des mensualités du propriétaire à l’usager du bâtiment. Concrètement, explicite l’étude, « un propriétaire âgé ou endetté paiera sa mensualité de prêt tant qu’il habitera la maison et s’il n’y habite plus, c’est le prochain occupant qui reprendra le paiement des mensualités de prêt, en lieu et place de la facture de chauffage équivalente qu’il aurait dû payer sans travaux, mais avec une maison très confortable ». Et lors de la revente ? Deux options s’offrent alors à l’acheteur, soit solder le prêt attaché à la maison, soit conserver le prêt », conclut Xavier Lemoine.

L’Etude de NégaWatt à télécharger, 80 pages :

Rapport réalisé en juin 2018 par l’Institut négaWatt, en partenariat avec la SEM Energies Posit’IF, pour la Ville de Montfermeil, dans le cadre du PIA « Ville de demain (Morgan Boëdec / Victoires-Editions) intitulé :
« Résorber la précarité énergétique et rénover les passoires thermiques – Solutions innovantes et prêtes à déployer pour rendre accessible à tous la rénovation performante des maisons individuelles »
https://seafile.institut-negawatt.com/f/a522c684bec84ffea779/?dl=1
La SEM Energies Posit’IF, en particulier son directeur Raphaël CLAUSTRE :
http://www.energiespositif.fr/
Olivier SIDLER (photo), porte-parole de l’Association négaWatt et expert visionnaire des politiques de rénovation énergétique,

http://www.institut-negawatt.com/
Source:
https://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer/?pagename=Territoires/Articles/Articles&cid=1250281281804&nl=1
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