L’Europe contre attaque après plusieurs années d’investigation malgré le puissant lobby Google à Bruxelle. Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence a sanctionné mercredi 18 juillet Alphabet/Google pour abus de position dominante avec une amende record de 4,34 milliards d’euros, la seconde en un an contre laquelle le groupe US va faire appel, au risque de détériorer un peu plus les relations entre l’Europe et les Etats-Unis. L’enjeu est triple: financier, juridique et culturel, à en croire les déclarations de Gilles Babinet** qui « ne crois pas la capacité des Gafa*** à s’autoréguler ».

Mme Margrethe Vestager, la commissaire Européen à la concurrence en juillet 2018

Cette bataille se précise au moment où le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, se rend à Washington pour tenter de désamorcer le conflit commercial qui oppose l’UE au président américain Donald Trump, prêt à taxer les importations européennes aux Etats-Unis. Le montant de l’amende pulvérise tous les records. Il sanctionne l’entreprise américaine pour avoir abusé de la position dominante d’Android, son système gratuit d’exploitation pour smartphone, afin d’asseoir la suprématie de son service de recherche en ligne. Mais pas seulement.

« Le moteur de recherche de Google est son produit phare. Chaque année, le groupe Alphabet qui gère Google, génère plus de 95 milliards de dollars de revenus grâce aux publicités montrées et cliquées par les utilisateurs de Google Search (94% du marché) et une grande partie de ses revenus sont dus à la montée en puissance des appareils mobiles comme les smartphones et les tablettes », a ajouté la commissaire danoise qui gère le dossier depuis plusieurs années.

Il y a un peu plus d’un an, le 27 juin 2017, l’entreprise avait été déjà condamnée par la Commission européenne à payer une amende de 2,42 milliards d’euros pour avoir abusé de sa position dominante dans la recherche en ligne en favorisant son comparateur de prix « Google Shopping », au détriment de services concurrents.Le montant de l’amende est décidé au dernier moment et peut atteindre théoriquement, selon les règles de la concurrence européenne, jusqu’à 10% du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui s’élevait pour Alphabet, maison mère de Google, à 110,9 milliards de dollars en 2017 (94,7 milliards d’euros).

La Commission européenne a sommé l’entreprise américaine « de mettre fin à ses pratiques illégales dans les 90 jours, sous peine de se voir infliger des astreintes allant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires journalier moyen mondial d’Alphabet ». »Aujourd’hui, la décision de la Commission a rejeté le modèle économique qui fait vivre Android (…) C’est pourquoi nous ferons appel » a réagi le PDG de Google, Sundar Pichai, dans un billet sur le blog.

« C’est jamais le bon moment »

Une nouvelle sanction contre le géant américain qui arrive dans un contexte particulièrement tendu entre l’UE et les Etats-Unis. Cette semaine, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, doit se rendre à Washington pour tenter de désamorcer le conflit commercial qui oppose l’UE au président américain Donald Trump, prêt à taxer les importations de voitures européennes dans son pays.

Interrogé sur l’opportunité d’une sanction d’une telle importante dans un tel contexte, Mme Vestager a répondu: « Ce ne sera jamais le bon moment ». La commissaire danoise a assuré n’avoir aucun ressentiment contre les Etats-Unis qu’elle « aime beaucoup » en réponse aux assertions prêtées au président Donald Trump. Android, le système d’exploitation utilisé pour 80% des appareils en Europe et dans le monde, qui est l’équivalent de l’iOS pour l’iPhone d’Apple, est dans le collimateur de la Commission européenne depuis plusieurs années.

Le top 3 parmi de multiples griefs

Dans son communiqué, l’institution a détaillé ses griefs contre Google.
-Premièrement le groupe californien a exigé des fabricants qu’ils pré-installent l’application Google Search et son navigateur (Chrome) comme condition à l’octroi de la licence pour sa boutique d’applications en ligne (Play Store).

-Deuxièmement, il a payé certains grands fabricants et certains grands opérateurs de réseaux mobiles pour qu’ils pré-installent en exclusivité l’application Google Search sur leurs appareils.

-Et troisièmement, il a empêché les fabricants souhaitant pré-installer les applications Google de vendre ne serait-ce qu’un seul appareil mobile intelligent fonctionnant sur d’autres versions d’Android non approuvées par Google.

Dans le cas de Shopping, Google avait proposé des remèdes en septembre 2017. Ils sont toujours en cours d’examen par la Commission européenne. Le groupe avait également saisi la Cour de justice de l’UE (CJUE). Etant donné la complexité des affaires Shopping et Android, deux années seront nécessaires à la Cour pour rendre une décision. Le montant de l’amende sera placé sous forme d’une garantie bancaire et si la justice confirme la sanction, il sera reversé aux Etats membres au prorata de leurs contribution au budget européen, a précisé la commissaire.

La Commission européenne a un troisième fer au feu contre Google

La Commission Européenne lui reproche depuis le 14 juillet 2016 d’avoir abusé de sa position dominante avec sa régie publicitaire AdSense (80% du marché en Europe) en limitant artificiellement la possibilité pour les sites web tiers d’afficher les publicités contextuelles émanant de concurrents. Là aussi, une amende pourrait se profiler.

Google n’est pas la première entreprise de la Silicon Valley sanctionnée par Mme Vestager: Apple a été sommé en 2016 de rembourser à l’Irlande 13 milliards d’arriérés d’impôts et Microsoft avait écopé en 2004 d’une amende de 497 millions d’euros pour avoir refusé de fournir une documentation technique complète à ses concurrents afin qu’ils puissent concevoir des logiciels pleinement compatibles avec le système d’exploitation Windows.

La Commission Européenne:
https://ec.europa.eu/info/index_fr
https://ec.europa.eu/commission/news_fr

Domoclick.com avec LEON NEAL et Céline LE PRIOUX pour l’AFP

** Gilles Babinet est défenseur du numérique pour la France auprès de la Commission Européenne

*** GAFA: Google, Apple, Facebook, Amazon