Pierre de Gasquet, Grand Reporter pour Les Echos Week-End (Edition du 25/08) nous invite à découvrir la différence entre une maison moderne dans le midi et une maison moderne du midi. C’est le Clou de la baie de Roquebrune, la villa de l’architecte-designer irlandaise qui a été restaurée près d’un siècle après sa construction en 1926. Avec le cabanon du Corbusier*** et les unités de camping de « L’Étoile de mer », l’œuvre d’Eileen Gray forme un lieu de pèlerinage unique. Pour tous les amoureux d’architecture.

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Au bout d’un chemin étroit qui longe la voie ferrée, la maison-laboratoire surgit comme un mirage. Tel un petit bateau à vapeur ou un paquebot miniature échoué dans son jardin en restanques, petite jungle verdoyante de figuiers, palmiers et citronniers plantureux qui surplombe les eaux cristallines de la baie de Roquebrune. À quelques mètres de la plage où Le Corbusier s’est noyé, frappé par une crise cardiaque, en 1965, le site est un havre de paix inattendu. Tel un morceau de Grèce antique au détour d’une des routes les plus courues de la côte d’Azur. Au loin, se dessinent les gratte-ciels de Monaco et la méchante tour Odéon de la famille Marzocco. Mais on les devine à peine de la terrasse de la mythique villa E-1027 conçue par la géniale architecte irlandaise Eileen Gray. Il y a comme un mystère qui plane sur cette maison inhabitée, à mi-chemin entre la beauté insolente de la villa Malaparte de Capri et l’élégante sobriété de la villa Noailles de Hyères.

« La villa Noailles, c’est une maison moderne dans le midi ; ici c’est une maison moderne du midi. Cela fait une très grosse différence », nuance l’architecte Renaud Barrès qui a participé aux travaux de restauration de la villa. Bisexuelle, féministe, l’architecte et designer irlandaise Eileen Grey, notamment connue pour l’aménagement de ses appartements Art déco à Paris, a conçu cette maison pour et avec son ami Jean Badovici, un jeune architecte d’origine roumaine. « Mais ce n’est pas un nid d’amour », se récrie Tim Benton, l’historien d’art qui suit les travaux depuis vingt ans. La villa n’a pas été pensée comme une maison pour un couple. C’est plutôt un manifeste, une critique subtile et nuancée des travers du fonctionnalisme de l’architecture moderne. Son concept tient en quelques mots : « La maison a été construite pour un homme aimant le travail, les sports et recevoir ses amis. » Tout un programme. Pour y parvenir, elle a étudié la trajectoire du soleil et le sens des vents. Ici, tout le monde l’appelait la « villa Blanche » à Roquebrune. Mais son vrai nom, la villa E-1027, est issu d’un code surréaliste : E pour Eileen, 10 du J de Jean (dans l’ordre alphabétique), 2 du B de Badovici et 7 du G de Gray…

On y accède par un sentier odoriférant qui court entre les eucalyptus et les figuiers. Quand Eileen Gray découvre le terrain, elle décide de s’adapter au lieu, escarpé, en épousant les restanques de pierres de couleur ocre. Les travaux ont commencé en 1926 et ont duré trois ans. Il a fallu l’opiniâtreté d’un esthète anglais, Michael Likierman, ancien PDG d’Habitat France et cofondateur de la chaîne de magasins d’optique GrandVision/Grand Optical, pour lui redonner son éclat originel. Tout au long de l’été, l’association Cap Moderne, dont il préside le conseil d’administration, y organise une vingtaine de rendez-vous exceptionnels (brunchs, dîners…) pour faire redécouvrir à quelques curieux le charme de cette villa mythique des années 30, icône de l’architecture moderne.

LA QUERELLE AVEC LE CORBUSIER

Les unités de camping, dessinées par Le Corbusier pour le propriétaire de l’Étoile de mer ©Manuel Bougot/FLC/ADAGP Paris 2017
La façade, avec son système de persiennes coulissantes en toile, est plein sud. Au nord, l’entrée, abritée par une marquise en béton, est ornée d’une plantureuse peinture murale du Corbusier. Avec sa grosse main, ses sexes de femme stylisés, la fresque du Corbu, peinte au Ripolin en 1939, est dotée d’une forte charge érotique. C’est l’une des trois peintures murales de l’architecte qui ont été restaurées et subsistent dans la maison. On dit qu’Eileen Gray fut révoltée par ce « saccage » de son grand voisin jaloux invité à séjourner dans la villa par Jean Badovici. Le mystère demeure. Selon certaines sources, elle aurait découvert les fresques dans des articles de presse et aurait dénoncé un « acte de vandalisme ». Pour Renaud Barrès, la réalité est plus compliquée. « Il y a eu une dispute entre Le Corbusier et Badovici, mais cela n’a rien à voir avec les peintures murales.

D’ailleurs, Le Corbu était plutôt un admirateur de cette osmose entre architecture et mobilier voulue par Eileen Gray. » Car l’architecte irlandaise, qui a construit une seconde maison sur la route de Castellar, dans les Alpes-Maritimes, est aussi connue pour ses meubles conçus pour le couturier Jacques Doucet ou Robert Mallet-Stevens. « La jalousie entre Le Corbusier et Eileen Gray est un peu une légende : il n’est même pas sûr qu’ils se soient rencontrés », ajoute Michael Likierman.

Aujourd’hui, le site regroupe la villa, le cabanon construit en 1952 par Le Corbusier (à partir des règles du Modulor) et qui jouxte les cinq unités de camping dessinées pour Thomas Rebutato, le propriétaire du bar-restaurant voisin L’Étoile de mer. Après la mort de son propriétaire, Jean Badovici, en 1956, Le Corbusier a fait racheter la villa E-1027 par une amie suisse, Marie-Louise Schelbert, rencontrée par l’entremise de son éditeur. « Son obsession était surtout de sauver ses peintures murales », assure Renaud Barrès.

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*** Le cabanon du Corbusier:
16m2: Le cabanon de Le Corbusier attire toujours les curieux sur la Méditerranée
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