À première vue, les photographies de Raymond Depardon sont simples, et combien déroutantes. Nous pensons que nous pourrions en faire autant, comme on l’a si souvent entendu à propos des peintures et dessins de Picasso. Et pourtant elles réalisent une sorte de procès de notre modernité : sous cette écorce de banalité évidée, elles sont toutes habitées par une interrogation grave. Raymond DEPARDON vient d’achever 70 000 km de balades en France où il a posé son regard (et son appareil photo sur pied) pendant 5 ans.

“La France de Raymond Depardon” © Raymond Depardon / Magnum photos / CNAP

Le résultat dépasse tous les clichés des traditions de la ruralité. Au contraire, le photographe-cinéaste nous livre une « France qui a plus progressé que les centres des grandes villes. J’ai vu y apparaître des progrès encore inaccessibles aux Parisiens: de la géothermie, des capteurs solaires, des aménagements qui tirent profit de l’environnement, des terrasses, des vérandas…observe-t-il dans une interview au Figaro. Son tour de France devient une exposition dans la grande galerie de la BNF François-Mitterrand et un livre de photos plus éloquentes que les statistiques de l’INSEE. © Raymond Depardon / Magnum Photos*

Dans cette interview au Figaro, Raymond Depardon confie que « la France change plus vite qu’on ne le pense ».
Et à la question: « Le bonheur est-il dans cette France traditionnelle, voire artisanale ?
Il répond : Au fil de mes 70 000 km parcourus en cinq ans, je me suis senti de plus en plus optimiste. J’ai vu une France très vivante, extrêmement dynamique. La France, pense-t-on à Paris, n’existe que dans les grands projets révolutionnaires dessinés par les cabinets d’architectes. Eux seuls traceraient les lignes de notre avenir. C’est faux. Pour l’instant, la France ne repose que sur du bricolage. Contre toute attente, cette France qui mêle bon sens et progrès technologiques devance Paris. Même si j’ai eu parfois le bourdon devant les volets fermés à 6 heures du soir, j’ai envie de la défendre en militant. J’en viens. Elle est moderne derrière sa torpeur. Elle est riche d’un capital d’avenir : l’espace. Selon les géographes, la lutte pour l’espace remplacera la lutte des classes !

« C’est quoi, «la France républicaine», aujourd’hui ?

-RD: Nous avons encore pas mal de choses en commun malgré – ou avec – l’Europe et la mondialisation. Des choses infimes qui persistent alors que nous sommes de plus en plus ouverts sur le monde. Un photographe marche avec des signes. Je sortais d’un long travail sur le monde rural. J’ai beaucoup travaillé sur les villes, désormais figées, muséifiées. Il me manquait cet entre-deux, ni ville ni campagne, cette zone intermédiaire négligée, méprisée et connue de tous. La France des ronds-points et des routes de campagne aux accotements balisés. Pas un Français qui ne reconnaisse au moins un coin de ces photos. On y est passé. On y est né. On s’en souvient. C’est la France profonde qui résiste le mieux à la mondialisation. Lire la suite dans l’interview du Figaro**

Le cheminement de Raymond Depardon

Il observe son pays depuis longtemps, touché personnellement par les grandes mutations rurales et urbanistiques de la deuxième moitié du xxe siècle et, fort de ses reportages sur le territoire français (pour la Mission photographique de la DATAR, puis l’Observatoire photographique du paysage), décide en 2004 de réaliser une « démarche folle et personnelle, la France des sous- préfectures. J’avais fui cette France-là qui m’a vu naître dit-il, je me devais bien de lui consacrer du temps pour essayer de la comprendre, […] d’essayer de dégager une unité : celle de notre histoire quotidienne commune ». La démarche est urgente, politique.

Il y a cinquante ans, le jeune Raymond Depardon, fils de paysans, montait à Paris. Très vite, il arpente le monde pour couvrir, en tant que photo-reporter puis cinéaste, nombre de faits d’actualité sur des lieux sensibles. Le jeune chasseur de « scoops » des premières années cède progressivement le pas au grand reporter en perpétuel dialogue entre sa vie et son œuvre, photographique comme cinématographique, soucieux de donner un sens plus juste aux événements de notre société. Il se révèle particulièrement sensible aux mouvements silencieux du monde, ceux qui ne défraient pas la chronique. Dix ans de travail d’approche des paysans de moyenne montagne ont affirmé son désir de photographier le territoire français méconnu. Dans ses films récents qui peuvent prendre la forme d’installations dans des musées, La Vie moderne (long métrage) et Donner la parole (installation à la Fondation Cartier pour l’art contemporain), il pose des questions simples : « Parlez-nous de votre vie ici, de votre terre natale, de votre communauté, de votre langue » à ceux qui sont attachés à leur terre, et dont le mode de vie ne sera bientôt plus compatible avec le cours du monde
moderne.

-L’Exposition , du 30 septembre 2010 au 9 janvier 2011 (A partir de 17h00 c’est gratuit)
BnF François-Mitterrand , Grande Galerie , Quai François-Mauriac – Paris XIIIe :
http://www.bnf.fr

-Le livre  » La France de Raymond Depardon « , 336 pages, 315 photographies Coédition BnF / Seuil :
http://www.eyrolles.com/Audiovisuel/Livre/la-france-de-raymond-depardon-9782021009941

** L’interview de R.Depardon par Le Figaro:
http://www.lefigaro.fr/culture/2010/09/27/03004-20100927ARTFIG00409-depardon-la-france-change-plus-vite-qu-on-ne-le-pense.php

-Depardon et Houellebecq sur les routes: Blog de Laurent Delmas (France Inter) Dimanche 3 Octobre 2010
http://web1.radio-france.fr/franceinter/blog/b/blog.php?id=21

* Magnum Photos est une coopérative internationale (Paris, New York, Londres, Tokyo) fondée en 1947 par H. Cartier-Bresson, R. Capa, G. Rodger et D. Seymour. Elle compte aujourd’hui 60 photographes bénéficiant d’une totale indépendance et de tous les attributs du statut d’auteur : choix et durée des reportages, sélection des photographies, propriété des négatifs, maîtrise du copyright et contrôle de la diffusion. Présents sur tous les continents, leurs regards se portent sur les épisodes marquants de notre époque, la vie quotidienne et les personnalités du monde artistique. Témoins et artistes, ils transcendant les clivages et les codes propres aux mondes de la presse et de l’art contemporain et leurs icônes, fragments de notre mémoire collective, sont diffusées dans la presse internationale. Il rompt avec le spectacle de l’actualité et de ses acteurs célèbres pour révéler la société, interroger la démocratie. […] En s’éloignant de l’actualité, il devient l’un des photographes les plus politiques, à la manière d’un sociologue ou d’un philosophe. François Hébel, directeur des Rencontres d’Arles, catalogue Rencontres d’Arles, Arles, Actes Sud, 2006.