Le service de presse du groupe Total vient d’orchestrer un joli coup d’éclat pour mettre son PDG dans le buzz médiatique. Coup sur coup , après une semaine de manifestations anti-nucléaire mondiale, M Christophe de Margerie a répondu vertement aux téléspectateurs de France 2 jusqu’à 1h du matin, accordé une interview à Challenges (édition de ce jeudi 5 mai) , et pour sa 11ème édition, a été l’invité d’honneur dans le club Les Echos Débats (en partenariat avec Kurt Salmon, Bouygues Telecom Entreprises, hôtels Pullman). Le Président Directeur Général du Groupe TOTAL autour du thème : « Quelles énergies pour quelle croissance ? » Plus brillant qu’agasant (le super à 2€ a fait des vagues), le boss de Total nous a donné une leçon sur la vision globale de l’échiquier politico-énergétique et le mix-énergétique auquel il démontre sa stratégie avec le rachat de 60% du groupe solaire SUNPOWER** . Aussi cartésien que réaliste, « monsieur Total » a fait un cours pratique sur les vrais enjeux de l’énergie sans tabous, sans oublier le nucléaire avec une dose de culot pour exposer des réalités auxquelles la presse est rarement confronté. Compte-rendu du débat organisé par le Groupe Les Echos. Sous-titres et liens de la rédaction Domoclick.com

Christophe de Margerie au grand conseil à Bercy, face à Mme la ministre

Comment ce grand patron, réputé pour ses qualités de financier et de diplomate, à l’humour aiguisé, qui se dit lui-même à la tête d’un Groupe de vision, envisage-t-il les grandes lignes énergétiques du monde de 2030 ? Pourquoi s’avoue t-il parfois si meurtri par les attaques portées à l’encontre du groupe Total, qu’elles émanent de l’opinion ou du monde politique et judiciaire, qu’il s’agisse de la fermeture des raffineries, du prix de l’essence ou du niveau d’imposition du groupe ? En guise de préambule à son intervention, Christophe de Margerie dénonce le monde d’approximations et d’antagonismes dans lequel nous vivons. Si Total ne paie pas d’impôts sur les sociétés en France en 2011 – son profit ayant été généré dans d’autres pays depuis la crise, il n’en paiera pas moins le reste des impôts et taxes françaises pour une valeur estimée à 800 millions d’Euros.

Les médias sont souvent dans une course assourdissante aux messages chocs, jusqu’à la caricature. Lorsqu’une grande chaîne de télévision interviewe des syndicalistes, au pied de la Tour Total à la Défense, à l’issue d’une négociation sociale, elle ne retient que les images et les interventions des opposants, jamais celles des acteurs du compromis réalisé. Ce genre de posture aboutit souvent à des contre-vérités : il n’y a pas de ‘printemps arabe’ comme il y a eu ‘un printemps de Prague’ mais une série de situations extrêmement différentes d’un pays à l’autre. Enfin, nous ne pouvons pas continuer à entretenir un rapport skyzophrénique à l’énergie en prétendant maintenir des prix suffisamment élevés pour exercer une pression sur les niveaux de consommation tout en aspirant à ce que les prix n’aient pas d’impact sur le pouvoir d’achat. En résumé, Christophe de Margerie considère que sa principale responsabilité, c’est de dire la vérité de sa perception des enjeux et de permettre ainsi le débat le plus avancé avec l’opinion.

L’énergie est à la racine de toutes les productions, y compris de l’eau,

« L’énergie, c’est la vie » énonce Christophe de Margerie. Non seulement l’énergie est à la racine de toutes les productions, y compris de l’eau, mais l’énergie doit aussi être considérée dans toutes ses formes pour quiconque souhaite sérieusement envisager l’avenir énergétique de l’humanité. Il y a trois grands ensembles énergétiques :
>les énergies fossiles que le sont le pétrole, le gaz et le charbon,
>les énergies renouvelables et
>l’énergie ‘inclassable’ – car ni fossile, ni renouvelable, c’est- à-dire le nucléaire.
Aujourd’hui, cet ensemble est insuffisant pour faire face à la demande mondiale. C’est la raison pour laquelle les prix augmentent. Face à ces tensions, la tentation des réponses rapides est à proscrire. Dans le cas de la biomasse par exemple, la consommation mondiale baissera, à hypothèses technologiques constantes, entre 2010 et 2030 du fait de l’urbanisation qui réduit le chauffage par le bois – seuls les biocarburants continueront de progresser. Des ruptures technologiques sont envisageables comme la biomasse chimique PLA. La R&D du Groupe Total y travaille en cohérence avec la position du Groupe qui consiste à ne pas investir sur la biomasse alimentaire.

En 2030, la consommation énergétique aura augmenté de 30%,

Tirée par la croissance des pays émergents , la consommation d’ici 2030 va augmenter de 30% alors que la consommation de l’OCDE aura diminué. Ramenée à l’an, cela fait une croissance entre 1% et 2%, ce qui est considérable. Si l’équation est simple, la so- lution est difficile. Les pétroliers font le plus pos- sible en tirant au maximum parti de leur capacité à produire pour produire toujours plus, de pétrole, de gaz, de charbon. Christophe de Margerie précise au passage que l’action des pétroliers n’a jamais été conduite par le jeu sur les prix contrairement à un préjugé répandu, mais bien par la nécessité de produire. En 2030, les énergies fossiles compteront pour 75% de la production (contre 80% aujourd’hui) et les énergies renouvelables pour 25% (contre 20% aujourd’hui). Cette évolution de 5% est considérable compte tenu du temps nécessaire pour développer les technologies renouvelables. Elle pose la question du prix de l’énergie. Christophe de Margerie souligne que le prix du pétrole à 30 ans dépendra d’une multiplicité de paramètres dont le prix du nucléaire et les paramètres environnementaux, qu’ils soient réguliers (maitrise du souffre, qualité de l’air pour la vie, la respiration, etc.) ou de plus long terme (émissions CO2, réchauffement climatique, etc.). Si les prix ne baissent pas, c’est que les prix de l’énergie sont établis par des marchés globaux au sein desquels l’occident a un passif. Lorsque la France a 600 voitures pour 1000 habitants, la Chine n’en a que 36 et l’Inde que 20… Christophe de Margerie rappelle également que plus de 1 milliard d’individus n’ont pas accès à l’électricité et conclut en précisant que s’il souhaite contribuer à une diminution de la croissance énergétique, il ne souhaite pas que cela se fasse aux dépens de la croissance.

Pourquoi le gaz de schiste est un GNC (Gaz Non Conventionnel***) ?

Le journaliste des Echos ouvre rapidement le débat sur le gaz de schiste et l’affaire du permis de Montélimar. Christophe de Margerie résume sa position en trois points.
>D’abord, il y a peut-être une énergie non conventionnelle.
>Ensuite, nul n’a la certitude qu’elle existe vraiment sur territoire français.
>Enfin, il est regrettable d’avoir attendu aussi longtemps pour conduire le débat sur cet enjeu.
Concernant l’amodiation du permis de Montélimar, Christophe de Margerie se dit surpris par la réaction des élus dès lors que toutes les communes étaient informées par publication en règles comme c’est le cas pour n’importe quel projet d’exploitation des sols. Il invite à poser les termes du débat au bon niveau et de poursuivre en déclarant:

« Si nous avons la possibilité d’une énergie, il convient d’évaluer si celle-ci peut être exploitée de manière adaptée aux exigences légitimes de respect de l’environnement en France ». Il pointe que ce sont les produits chimiques utilisés lors de l’opération de craquage qui sont dangereux pour l’environnement et que c’est sur cet enjeu qu’il faut concentrer les efforts. C’est bien parce que cette énergie n’est pas maitrisée qu’elle est considérée comme non conventionnelle et qu’il faut aborder son développement comme tel en qualifiant le plus rapidement possible s’il y a nécessité d’ouvrir un débat environnemental. Enfin, il appelle à être prudent sur l’analyse de la situation aux Etats-Unis : seuls 50 sites ont été mal opérés sur 1000. Les ressources considérables à disposition ont permis aux Etats-Unis de sortir d’une impasse de marché sur le gaz naturel, bien plus menaçante pour leur économie.

Ludovic Piacka, Associé, Responsable de la Practice Energy & Utilities de Kurt Salmon, interroge le PDG sur le nouvel ordre pétrolier mondial. Le poids relatif des NOC (National Oil Compagnies) historiques (Saudi Aramco, Kuwait Petroleum Corporation [KPC], PDVSA, NIOC) et des NOC des pays émergents (PETROBRAS, SONANGOL, compagnies chinoises et indiennes) devient de plus en plus prégnant dans le classement mondial des compagnies sur la base de la production et des réserves : Total, société pétrolière capitaliste est maintenant aux 17- 18 e rangs ! Dans ce contexte, reste-t-il de la place pour une plus grande concentration du secteur pétrolier, particulièrement, en Europe ? Christophe de Margerie voit là un enjeu de vision à long terme. Les fusions opérées jusqu’à présent ont toutes eu pour objectif la recherche de synergies. Mais l’acte de fusion entre des majors est extrêmement compliqué et même questionnable par le consommateur. En tout état de cause, cette option n’est pas inéluctable vu d’aujourd’hui. Elle deviendra possible dès lors que gagner en taille deviendra indispensable pour assurer le financement des investissements lourds nécessaires dans l’exploration et production (offshore profond et très profonds,…).

Total est « en observation sur l’énergie nucléaire ».

Les différentes interventions de ce débat ont ensuite permis de couvrir un large spectre d’enjeux et notamment la position du Groupe sur le nucléaire, les projets d’exploration au Pôle Nord, l’impact des évolutions géopolitiques. Christophe de Margerie dit que son Groupe est en observation sur l’énergie nucléaire. Le nucléaire pose la question du risque industriel majeur comme la catastrophe de Fukushima vient à nouveau tragiquement de le démontrer. Ensuite le nucléaire n’est pas neutre en CO2, la fabrication d’un EPR étant un grand consommateur de ciments. Enfin, si le Groupe Total a pris le temps de développer une équipe extrêmement qualifiée en matière nucléaire, il n’a pas encore trouvé d’alliance adaptée pour pénétrer ce marché. Concernant les projets d’exploration de nouvelles réserves pétrolières et gazières, Christophe de Margerie rappelle que l’équation qui préside à ce genre de décision lie intiment avancées technologiques et niveaux de risques. Concernant les évolutions géopolitiques, Christophe de Margerie insiste sur le poids de l’Arabie Saoudite qui, avec ses 9 millions de barils par jour, représente 10% de la production mondiale. Cette situation doit interroger les biens pensants sur leur conception politique et la place qu’il y concède à la démocratie. Selon Christophe de Margerie, c’est au politique de prendre ses responsabilités. En tout état de cause, la démocratie peut avoir un prix partout où les ressources pétrolières sont très concentrées.

Domoclick.com

* Christophe de Margerie rejoint TOTAL dès son diplôme de l ́ESCP Europe en 1974, au sein de la direction financière. Le petit-fils de Pierre Taittinger aime raconter qu’il a choisi Total « par hasard », « parce que c’était l’entreprise la plus proche de chez lui ». En 1995, il est nommé au poste de directeur de Total Moyen-Orient, en 1999 à celui de directeur général de la Branche Exploration Production. Le 13 février 2007, il est nommé directeur général de Total par le Conseil d’administration du Groupe.

Le groupe Américain SUNPOWER:
http://online.wsj.com/article/SB10001424052748704473104576293310772606394.html

L’interview du Président d’honneur d’EDF , Marcel BOITEUX , sur l’énergie nucléaire et le « tout-pétrole »:
https://www.domoclick.com/?p=100

Les Echos:
http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/energie-environnement/

*** GNC
Le gaz de schiste et l’huile de schiste sont des hydrocarbures contenus dans des roches sédimentaires argileuses, situées entre 1 et 3 kilomètres de profondeur, qui sont à la fois compactes et imperméables. C’est un gaz « non conventionnel »(GNC) , c’est à dire un gaz qui se trouve piégé dans la roche et qui ne peut pas être exploité de la même manière que les gaz contenus dans des roches plus perméables. Son exploitation nécessite le plus souvent des forages horizontaux et une fracturation hydraulique de ces roches profondes. Le gaz remonte à la surface à travers un tube en acier puis rejoint un gazoduc.