Qualifié d’exceptionnel, l’épisode d’inondations qui a traversé la France en juin dernier et dont le coût d’indemnisation dépasse le milliard d’euros, pourrait tout à fait se reproduire de manière plus fréquente, ont alerté Météo-France et des experts le 10 novembre. Plusieurs députés, également maires, ont témoigné, réclamant notamment des informations plus claires et plus précises en période de crise et davantage de moyens pour l’entretien des rivières. C’est dans ce contexte que la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, a réuni le 28 novembre 2016 plusieurs dizaines de territoires pour faire le point sur les stratégies de prévention et de gestion des inondations. Les collectivités qui ont pris en avance la taxe Gemapi*** n’ont pas hésité à l’instaurer pour financer les travaux à venir. Décryptage du dispositif et explications des acronymes (Papi,CMI) pour ne pas couler dans ce sujet vital.

La Dronne à Brantome (Dordogne)
La Dronne à Brantome (Dordogne)

Mme Royal a annoncé à cette occasion un renforcement du dispositif Vigicrues** et insisté sur le rôle des repères de crues, qui font l’objet d’un recensement dans une plateforme nationale opérationnelle depuis peu et accessible à tous. Alors que l’appel à projets pour les programmes d’actions de prévention contre les inondations (Papi) entre dans sa troisième vague (voir notre article dans l’édition du 8 novembre 2016), avec un cahier des charges renouvelé et une consultation en cours du public en vue d’un processus de labellisation simplifié, un point a été fait sur ce dispositif, le 28 novembre au ministère de l’Environnement, en présence de plusieurs dizaines de collectivités directement concernées.

La barre des 100 Papi labellisés par la commission mixte inondation (CMI) vient d’être atteinte en octobre. Ils sont même près de 130 si l’on inclut ceux labellisés par les instances de bassin (dont le montant est inférieur à 3 millions d’euros). Financement à la clé : 1,5 milliard d’euros en tout, dont 623 millions apportés par l’Etat pour des actions et travaux. « Le nouveau dispositif Papi 3 tient mieux compte des enjeux environnementaux, des inondations par ruissellement, de la consultation du public et de la recherche de solutions alternatives aux projets de travaux », éclaire la ministre.

« Un Papi n’en représente pas moins un effort considérable pour fédérer des communes – 74 dans notre cas – confrontées à des enjeux différents. Son élaboration traduit une forme de solidarité qui ne se décrète pas mais se construit », a rebondi Olivier Audibert-Troin, député du Var, président d’une communauté d’agglomération et du syndicat mixte de l’Argens. Ce territoire a porté un Papi dit « complet », qui détaille donc tous les types d’actions et de travaux de gestion des risques à réaliser et vient d’être labellisé l’été dernier. « Il inscrit l’inondation dans une stratégie globale d’aménagement du territoire et pérennise la gouvernance de l’eau à l’échelle du territoire, sur une superficie importante, la moitié du département du Var. Soit 111 établissements scolaires, plus de 500 ERP [établissements recevant du public, ndlr], 25 mairies, 13.600 entreprises, etc », poursuit l’élu.

Ne plus négliger les petites rivières

Malgré cette extension progressive des territoires couverts par ces programmes adaptés et permettant aux maîtres d’ouvrages de bénéficier de crédits du ministère et du fonds Barnier, « il reste des zones non couvertes et qui en auraient pourtant besoin », a souligné Daniel Marcovitch, co-président de la CMI. L’exigence n’en sera pas moins de mise pour l’appel à projets Papi 3, « car le fonds Barnier est limité », ajoute-il. Sur de petites rivières, où des Papi ne peuvent être élaborés, le besoin de structurer la prévention se fait sentir. « C’est au niveau du bassin qu’il faut agir pour y renforcer la solidarité amont-aval », préconise-t-il.

Un dispositif renforcé de surveillance et d’avertissement
La ministre de l’Environnement a annoncé le renforcement du dispositif Vigicrues. La leçon a donc été tirée suite aux inondations du printemps dernier. Deux millions d’euros vont être alloués « dans les douze mois à venir » au renforcement de ce réseau de surveillance pour « l’étendre à de nouveaux cours d’eau et moderniser les équipements en place ». Un nouveau dispositif d’avertissement baptisé « Vigicrues Flash », développé par le Schapi (service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations), est aussi en cours d’expérimentation par une centaine de collectivités. Il permet d’alerter les maires et préfets en temps réelle. « Sa mise en service est prévue au premier trimestre 2017 dans 10.000 communes », a annoncé la ministre. Elle a par ailleurs insisté sur l’importance de réaliser des exercices de simulation de crues : « Il devrait y en avoir dans toutes les communes. Ces répétitions générales sont tout particulièrement indispensables dans le cas d’une inondation survenant en pleine nuit ».

Généraliser les repères de crues
La ministre est aussi revenue sur le rôle des repères de crues. Il s’agit, pour rappel, de marques, de plaques ou autres permettant de matérialiser le niveau de l’eau atteint lors d’une inondation passée. Ils permettent d’entretenir une culture du risque auprès des riverains. Mais ils sont aussi des éléments techniques essentiels pour reconstituer un événement passé, le cartographier ou le modéliser. Depuis une loi de 2003 modifiant le Code de l’environnement, les communes ont l’obligation d’en installer pour les événements historiques et pour entretenir les repères existants. « Mais parfois elles ne le font pas, de crainte de faire peur à leurs habitants », pointe la ministre.

Pour améliorer la situation, une plateforme nationale des sites et repères de crues est depuis peu opérationnelle. Lancée cet automne par Vigicrues, elle rassemble au sein d’un outil unique et à partir de sources variées l’ensemble des repères de crues existants sur le territoire français pour les mettre à disposition de tous. Il y en a actuellement plus de 20.000 recensés. La plateforme s’appuie sur les recensements réalisés par les services de l’Etat ou des structures de bassin comme les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), qui ont parfois collecté de nombreuses informations. Le site se veut aussi ouvert à d’autres sources comme les bureaux d’études. « Ou même les particuliers qui peuvent se créer un compte et amener leurs connaissances. Il a donc une dimension participative », a conclu la ministre. Laquelle devrait encore être renforcée lorsqu’il sera accessible par smartphone avec géolocalisation, ce qui est prochainement prévu.

Risques d’inondations: La taxe Gemapi coule de source partout où les risques sont plus importants, obligatoire à partir de janvier 2018.

Le 10.10.2016: Les collectivités qui ont pris en avance la compétence Gemapi***, obligatoire à partir du 1er janvier 2018. Elles n’ont pas hésité à instaurer la taxe Gemapi pour financer les travaux à venir. Et cet alourdissement de la fiscalité n’a pas vraiment fait de vagues.

Combien de collectivités ont pris en avance la compétence Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, dite Gemapi ? Impossible à savoir mais pour celles qui l’on fait, à l’image de Perpignan Méditerranée Métropole ou Val de Garonne Agglomération, la prise de compétence devait nécessairement s’accompagner du budget nécessaire aux travaux programmés. Et ces recettes ne pouvaient que provenir de la nouvelle taxe Gemapi autorisée par la loi dans un plafond de 40 euros par habitant et par an. 



Ainsi Val de Garonne Agglomération a pris la compétence Gemapi en septembre 2015, la taxe Gemapi a été votée dans la foulée. « En 2014, une première présentation s’était mal passée. Il a fallu faire preuve de pédagogie pour expliquer que cette taxe était indispensable et se substituait à des versements existants. Car avant, les riverains contribuaient aux syndicats de digues et les collectivités payaient les syndicats de rivière », explique Florent Crapeau, technicien Gemapi de l’agglo.

Pédagogie et conscience des enjeux locaux.

« Les territoires qui ont pris la compétence en avance sont aussi ceux qui sont soumis à des risques importants. Ils ont conscience des coûts nécessaires », précise-t-il. Le discours n’est pas très différent à la communauté urbaine de Perpignan. Le conseil de communauté a pris la compétence Gemapi au 1er janvier 2016 et a adopté le 19 septembre dernier la taxe Gemapi. « Voter une  nouvelle taxe est une démarche difficile pour les maires des 36 communes de la communauté urbaine mais ils reconnaissent tous qu’il faut faire des travaux. D’ici à 2020, nous avons 30 millions de travaux à programmer en particulier sur les digues. Impossible à financer par les 2 millions d’euros jusque là prévu par le budget général », explique Francis Clique, vice-président de la communauté urbaine.

Et l’élu de justifier cet alourdissement de la fiscalité locale à la fois par le désengagement de l’État de ses responsabilités en matière de lutte contre les inondations et par le durcissement des réglementations tant nationales qu’européennes. Concrètement, la démarche a été la même dans les deux collectivités : partir des recettes nécessaires aux travaux pour calculer le taux supplémentaire à appliquer à la taxe d’habitation (TH), à la taxe foncière (TF) et à la contribution foncière des entreprises (CFE).

« Pour obtenir les 5,3 millions d’euros de recettes souhaitées en 2017, nous appliquons une hausse de 0,49 % sur la TH, de 0,71 % sur la TF et de 1,01 sur la CFE », résume Francis Clique à Perpignan Méditerranée Métropole. Même logique pour Val de Garonne Agglomération qui compte sur 553 000 euros par an et applique une hausse de 0,215 % sur la TH, de 0,507 % sur le foncier bâti, de 1,37 % sur le foncier non bâti et de 0,517 % pour la CFE. 



Cette étape de pérennisation des recettes et de garantie de financement des travaux acquise, chaque collectivité a bien conscience de la complexité de la tâche à mener. Val de Garonne Agglomération a répondu cet été à un appel à projets du ministère de l’Environnement « Actions mobilisatrices et innovantes d’information et de sensibilisation au risque inondation » dont elle attend encore la réponse. La collectivité, qui a eu l’intelligence d’embaucher comme collaborateurs de l’EPCI les anciens présidents des syndicats de digues et utilise ainsi leurs compétences et leur mémoire du terrain, travaille parallèlement à construire sa stratégie de gestion des risques d’inondation. Elle est en train de choisir le bureau d’études qui va réaliser un diagnostic de son système d’endiguement complet. De ce diagnostic découlera la stratégie et ses objectifs qui seront ensuite déclinés dans le programme d’actions pluriannuels cofinancé par l’Etat. « Au moins deux ans de travail », conclut  Florent Crapeau.

** Vigicrues :
http://www.vigicrues.gouv.fr/

*** GEMAPI:
http://www.gemapi.fr/

Source: Morgan Boëdec / Victoires-Editions
Domoclick.com avec Localtis
http://www.localtis.info