Cinq mois après Fukushima, plus de 150 ouvrages ont été publiées sur la catastrophe nucléaire uniquement en Japonais. Tous les aspects sont traités, l’industriel, les effets sur la santé, la responsabilité de la haute administration Japonaise jusqu’aux dénonciations de Hioraki Koide, professeur à l’institut de recherche nucléaire de l’université de Kyoto. Son livre, « Le mensonge de l’énergie nucléaire » a été vendu à 250 000 exemplaire.Si l’opinion Nippone exprime ainsi sa colère rentrée, en Occident les spécialistes ont également tirés des conclusions et publiés plusieurs ouvrages. Deux exemples: l’ouvrage de Daniel de Roulet, écrivain et auteur de « Tu n’as rien vu à Fukushima » qui s’exprimait le 16 aout au micro de France Culture. Et Domoclick.com s’est procuré la traduction* d’un article du The New York Times (Asie Pacifique) titré « Le Japon retient des informations sur la pollution nucléaire qui met en péril les riverains de Fukushima ». Deux sujets qui mettent en perspective à la fois la culture du risque des populations (avec les besoins de formations ?) et la responsabilité du savoir-communiquer des gouvernement. L’ontologie** des crises nous montre qu’une population avisée réagit mieux en situation critique » insiste Didier Heiderich, auteur de « Plan de gestion de crise »(Dunod). Désormais, l’après-Fukushima devrait instaurer une nouvelle ère dans la façon d’informer et de solidariser les publics: autorités/media/securité civile/populations. Avec l’appui de quelques milliards de téléphone mobile !

La une de Courrier International du 16 mai 2011

Pendant ce temps, à Fukushima : « Soyez-en sûrs: il n’y aura jamais plus d’un accident par réacteur tous les cent mille ans. Mieux : pas plus d’un accident tous les millions d’années pour une catastrophe type Tchernobyl ». Ca ressemble à une mauvaise pub… C’est pourtant l’argument « officiel » qui rendait le risque nucléaire acceptable jusque-là; un moindre mal disait-on eu égard aux avantages de cette source d’énergie : indépendance, petit prix, et faible émission de gaz à effets de serre.
 
Aujourd’hui en 2011, 14000 « années-réacteurs » ont déjà passé, rythmées par des explosions, plus ou moins médiatisées. Three Miles Island… Tchernobyl… A Fukushima, l’explosion d’un réacteur, puis d’un second, puis d’un troisième auront été suivies minute par minute sur les télévisions du monde entier; depuis on ne sait plus grand-chose…On ne sait pas non plus quel crédit accorder aux déclarations des autorités japonaises.

ECOUTER l’émission du 16 Aout 2011 sur France Culture
avec Discussion avec Jean-Marie Chevalier, économiste, Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et Daniel de Roulet, écrivain/

http://www.franceculture.com/player?p=reecoute-4295017#reecoute-4295017

The New York Times (Asie Pacifique),
Le Japon retient des informations sur la pollution nucléaire qui met en péril les riverains de Fukushima

Article de Norimitsu Onishi et Martin Fackler du 8 aout 2011 Norimitsu Onishi enquête depuis Fukushima, Martin Fackler depuis Tokyo. Ken Belson et Kantaro Suzuki à Tokyo.

Source: http://www.nytimes.com/2011/08/09/world/asia/09japan.html (en anglais)
Traduction de Gunther et Hubert Cros, avec leurs excuses pour les petits ratés et maladresses.

FUKUSHIMA, Japon. Le lendemain du raz de marée géant qui à provoqué le désastre toujours en cours à la centrale nucléaire FUKUSHIMA N°1, des milliers d’habitants de la ville de Namie située à 8 km de la centrale, se sont réunis pour organiser leur évacuation. Ne recevant aucune indication de Tokyo, les élus locaux ont laissé croire aux résidents situés au nord que les vents d’hivers soufflant vers le sud disperseraient ailleurs les retombées radioactives.

Trois nuits durant, alors que les explosions d’hydrogène sur les quatre cœurs du centre nucléaire dispersaient des éléments radioactifs, ils restèrent dans le district de Tsushima dans lequel les enfants jouaient à l’extérieur et que leurs parents préparaient le riz avec l’eau des torrents de montagne. Le vent, en fait, soufflait en direction de Tsushima. Les élus locaux apprirent deux mois plus tard que le système gouvernemental informatisé de prédiction des risques de retombées radioactives le montrait clairement. Ces prévisions furent séquestrées par les bureaucrates de Tokyo, espérant ainsi éviter d’avoir à affronter leurs responsabilités et par surtout les critiques. Les plus hauts dirigeants politiques ne furent pas mis au fait immédiatement et lénifièrent plus tard les données, craignant apparemment de devoir élargir sensiblement la zone d’évacuation, reconnaissance de fait de la gravité de l’accident. « Du 12 au 15 mars nous étions dans la zone la plus fortement irradiée » dit Tamotsu Baba, le maire de Namie. Lui même et des milliers de citoyens de Namie vivent maintenant dans desaccueils temporaires de la ville de Nihonmatsu. « Nous sommes très fortement inquiets du fait de notre contamination interne » La séquestration de l’information, dit-il, peut être vue comme un « meurtre » Lors d’interview ou de déclarations publiques, d’actuels ou anciens responsables gouvernementaux ont admis que les autorités japonaises se sont engagées dans un mode de rétention et de négation des informations gênantes pour le désastre nucléaire, de manière, comme certains l’ont dit, à limiter les évacuations coûteuses et disruptives dans un pays qui compte déjà chichement ses surfaces, mais aussi pour éviter la remise en question par le peuple de la politique menée par la puissante industrie nucléaire. Avec la fuite continue des radiations, qui pour certaines se sont retrouvées dans la chaîne alimentaire nationale, le courroux du public enfle devant ce que beaucoup considèrent comme une campagne officielle de minimisation de l’importance de l’accident et de ses conséquences sanitaires.

Seiki Soramoto, législateur et ancien ingénieur du nucléaire auprès duquel le premier ministre Naoto Kan prenait conseil « pendant la crise », blâme le gouvernement qui séquestre les prévisions du système informatique connu sous le nom de Speedi, (NDT : acronyme anglais signifiant ‘système d’information et de prédiction pour informer d’urgence sur les doses environnementales’ En France, en 1986, on aurait pu le comparer au SCPRI : service central de protection des rayonnement ionisants, Internet regorge d’informations sur le SCPRI, voici un lien critiquant le SCPRI : http://www.criirad.org/actualites/communiques/plaintetchern15-12/cppellerinannexe.pdf)
« Finalement, ce fut le bureau du premier ministre qui cacha les informations Speedi » dit-il « parce qu’ils n’avaient pas la connaissance pour savoir ce que les données signifiaient et donc quoi dire au public, ils pensaient d’abord à leur propre sécurité et décidaient qu’il était plus facile de tout simplement ne rien annoncer » Dans une interview, Goshi Hosono, le ministre en charge de la crise nucléaire, rejeta les accusations disant que la diffusion des données Speedi avait été retardée par des considérations politiciennes. Il dit que les données ne furent pas dévoilées au public parce qu’elles étaient incomplètes et inexactes, et que lui même n’en a pris connaissance que le 23 mars. « Et ce jour là, nous les avons rendues publiques » dit monsieur Hosono qui était l’un des plus proches conseillers du premier ministre dès les premiers jours de la crise, avant même d’être bombardé ministre de la crise nucléaire. « Pour ce qui est des jours qui ont précédé, je ne suis pas très au fait moi même, c’était une question de vie ou de mort pour le Japon en tant que nation et je n’avais aucune action sur ce qui se passait avec Speedi » Les prévisions Speedi furent parmi moult autres informations cachées au public dans les débuts. La fusion de trois des cœurs des réacteurs du centre nucléaire Fukushima N°1 ne fut pas officiellement reconnu pendant plusieurs mois.

Lors de l’un des plus accablants aveux du désastre, début juin, les gestionnaires dirent que les inspecteurs avaient trouvé du tellurium 132 que les experts savent être une preuve formelle de fusion de cœur, ce un jour après le raz de marée, mais le turent pour le public pendant presque trois mois. Pendant des mois après le raz de marée, le gouvernement a ergoté sur le niveau de radiation autorisé dans les cours d’écoles, causant une perpétuelle confusion et angoisse pour la sécurité des écoliers ici à Fukushima.
TROP TARD. Le temps des aveux en nombre, qui sont arrivés fin mai début juin, quand les inspecteurs de l’AIEA (agence internationale à l’énergie atomique) ont fait leur visite, avant que le Japon ne prévoit de livrer un compte rendu lors d’une conférence à l’AIEA, suggère aux critiques que le lobby nucléaire japonais ne s’est mis en conformité que parce qu’il ne pouvait plus longtemps cacher l’étendue du désastre. Le 4 juillet, La société de l’énergie atomique du Japon, un groupe qui rassemble des cadres universitaires et industriels annonça « Il est extrêmement regrettable que des information aussi importantes ne soit rendues publiques que trois mois après les faits, et seulement dans des communiqués au cours de conférences se tenant à l’étranger » Le groupe a ajouté que les autorités devait encore rendre publiques des informations comme les niveaux d’eau et les élévations de température dans les parties sous pression des réacteurs qui permettraient de se faire une image plus complète des dommages. D’autres experts ont indiqué que le gouvernement et TEPCO (Tokyo Electric Power Company) doivent encore révéler des données sur les installations qui devraient jeter la lumière sur le fait que, soit le système de refroidissement des réacteurs fut effectivement mis hors service par la vague de 15 m de haut du raz de marée, comme la ligne officielle le maintient, ou plutôt que les dommages induits par le séisme ont aussi joué un rôle, un élément qui pourrait faire douter de la sécurité des autres centrales nucléaires implantées dans une nation aussi sismiquement active que le Japon. Les officiels du gouvernement insistent sur le fait qu’ils n’ont pas consciemment mis en danger la population. « Le prenant pour principe, le gouvernement n’a jamais agi d’une manière telle que soit sacrifié la santé ou la sécurité du public » a dit monsieur Hosono, le ministre de la crise nucléaire. Ici dans la capitale préfectorale et ailleurs, les ouvriers retirent la surface des sols des cours d’écoles contaminées par les particules disséminées par la centrale. Des dizaines de milliers d’enfants sont retenus dans les bâtiments des écoles en ce chaud été, et certains portent un masque bien que les fenêtres soient maintenues fermées. Nombre d’entre eux seront bientôt dotés de dosimètres individuels pour enregistrer leur exposition aux radiations. Ici, à l’école élémentaire N°4, six élèves ont récemment joué au shogi et au go, jeux traditionnels sur damier, à l’intérieur.

Nao Miyabashi, 11 ans, dont la famille est partie de Namie, dit que les radiations lui font peur. Elle fait en sorte de ne pas se trouver sous la pluie. Elle se gargarise et lave ses mains dès qu’elle rentre chez elle. « Je veux jouer dehors » dit-elle. Environ 45 pour cent des 1080 enfants de trois communautés testés fin mars ont montré une thyroïde marquée par les radiations, si l’on se réfère à une annonce récente du gouvernement, qui ajoutait que les niveaux étaient trop bas pour exiger un test de suivi. Nombre d’experts nippons ou étrangers remettent en question les affirmations du gouvernement, rappelant qu’à Tchernobyl, la plupart de ceux qui souffrirent plus tard d’un cancer de la thyroïde étaient des enfants vivant près de la centrale au moment de l’accident. Des critiques internes ou externes à l’administration Kan arguent qu’une partie des expositions aurait pu être évitée si les officiels avaient rendues publiques les données plus tôt. Dans la soirée du 15 mars, monsieur Kan à appelé monsieur Soramoto architecte en centrales nucléaires pour Toshiba, fin qu’il l’aide à gérer la crise croissante. Monsieur Soramoto improvisa un groupe de conseil qui incluait son professeur de l’université de Tokyo, Toshiso Kosako, l’un des meilleurs experts japonais en mesure de la radioactivité. Monsieur Kosako, qui avait étudié le gestion de Tchernobyl par les soviétiques, dit qu’il était stupéfait par le manque de connaissance de leur moyens d’action des têtes du cabinet du premier ministre. Il avisa immédiatement le secrétaire en chef du cabinet du ministre, Yukio Edano, pour qu’il utilise Speedi, créé pour surveiller les fuites radioactives en association avec les prévisions météo et les données topographiques afin de suivre les particules radioactives après leur relâchement dans l’atmosphère. Speedi fut mis au point dans les années 1980 pour faire des prévisions sur la dispersion des radiations, qui selon le propre manuel sur les accidents nucléaires du bureau du premier ministre, étaient supposées être disponibles pour les élus locaux et les sauveteurs en vue de planifier les évacuations pour s’éloigner des panaches radioactifs.

Et effectivement, Speedi avait produit des cartes et des données depuis la première heure après le séisme et le raz de marée catastrophique. Mais le ministère de l’éducation n’avait pas fourni les données au bureau du premier ministre parce que, dit-il, elles étaient incomplètes. Le ras de marée avait mis hors service les capteurs de la centrale : sans mesure de la radioactivité fuyant de la centrale, disaient-ils, il était impossible de mesurer jusqu’où s’étirait le panache radioactif. « Sans connaître l’importance des fuites, nous n’avions aucun moyen de prendre la responsabilité d’ordonner les évacuations » dit Keiji Miyamoto de la division de la sûreté nucléaire du ministère de l’éducation qui administre Speedi. Le gouvernement avait initialement dessiné des anneaux autour de l’usine, évacuant tout le monde dans un rayon de 3 km, puis 10 km, puis 20 km, élargissant les anneaux au fur et à mesure que l’ampleur de la catastrophe devenait plus claire. Mais même avec des données incomplètes, M. Kosako a dit qu’il avait exhorté le gouvernement à utiliser Speedi pour faire des estimations éclairées quant aux niveaux de libération des radiations, ce qui aurait encore donné des cartes utilisables pour guider les plans d’évacuation.

En fait, le ministère avait fait précisément cela, des simulations sur les ordinateurs de Speedi sur les fuites de radiations. Certaines des cartes ont clairement montré un panache de contamination nucléaire s’étendant au nord-ouest de l’usine, au-delà des zones ayant été initialement évacuées. Toutefois, a dit M. Kosako, le bureau du Premier Ministre a refusé de publier les résultats, même après qu’il ait été mis au courant de Speedi, parce que les officiels du bureau n’ont pas voulu prendre la responsabilité d’évacuations coûteuses, par crainte que les estimations soient remises en question plus tard. Une zone plus large d’évacuation aurait signifié le délogement de centaines de milliers de personnes et de devoir leur trouver des lieux de vie dans un pays déjà surpeuplé. Surtout dans les premiers jours après le séisme, les routes ont été bloquées et les trains n’ont pas fonctionné. Ces considérations ont fait que le gouvernement a désespérément limité les évacuations au-delà des 80 000 personnes ayant déjà quitté les régions autour de l’usine, et ainsi évité le paiement d’indemnisations à encore plus de personnes évacuées, selon des responsables actuels et anciens interrogés. M. Kosako a dit que les principaux conseillers du Premier Ministre ont à plusieurs reprises ignoré ses demandes effrénées pour rendre publiques les cartes Speedi, et il a démissionné en avril, de crainte que les enfants ne soient exposés à des niveaux de radiations dangereux.

Certains conseillers du Premier ministre affirment que le système n’était pas utile pour prédire la direction du panache de radiations. Shunsuke Kondo, qui dirige la Commission de l’Energie Atomique, organe consultatif au sein du Bureau du Cabinet, a dit que les cartes produites les premiers jours par Speedi étaient incohérentes, et que cela changeait plusieurs fois par jour, selon la direction du vent. « Pourquoi publier quelque chose si ce n’était pas utile ? », a déclaré M. Kondo, également un professeur retraité de l’ingénierie nucléaire à l’Université de Tokyo. « Quelqu’un sur le terrain à Fukushima, en regardant de quel côté soufflait le vent, en aurait su tout autant »

Domoclick.com

Suite de la traduction (Gunther et Hubert Cros)
SUR DEMANDE à cette page, en indiquant: Suite de l’article NYT 80811
https://www.domoclick.com/?page_id=1735

** En science de l’information, une ontologie est l’ensemble structuré des termes et concepts représentant le sens d’un champ d’informations, que ce soit par les métadonnées d’un espace de noms, ou les éléments d’un domaine de connaissances. L’ontologie constitue en soi un modèle de données représentatif d’un ensemble de concepts dans un domaine, ainsi que des relations entre ces concepts. Elle est employée pour raisonner à propos des objets du domaine concerné. Plus simplement, on peut aussi dire que : « L’ontologie est aux données ce que la grammaire est au langage » (définition Wikipédia).