Le romancier François Médéline, après dix années passées dans les coulisses de la République, nous offre une fiction politique moderne et percutante. De sa plume explosive, il s’amuse à mettre en scène les grands de ce monde qui communiquent avec des tweets, il nous parle du règne de l’image, de pouvoir et de démesure. Mais l’essentiel remonte à la surface, en particulier lors de notre rencontre à la Foire du Livre à Brive: « Ressentir des émotions me semble plus émancipateur que posséder un Iphone X » affirme-t-il.

François Médéline à Lyon, le 06/04/2018.

– Vous connaissez bien le pouvoir du règne de l’image, depuis le flux tendu que permet l’internet, L’analyse des faits a t il encore sa place ?
-François MEDELINE: Je pense, avec Nietzsche, que le réel a toujours été faux et cruel. Et qu’il faut évidemment des mensonges pour conquérir cette réalité. Et le travail d’un romancier, son mensonge, est d’avoir un rapport esthétique au monde, de la présenter à nouveau, pour accéder à une forme de vérité. C’est tout l’objet de Tuer Jupiter dont le propos principal est de re-présenter le monde pour comprendre son entrée de l’ère de la post-vérité. Les concepts de « vrai » et de « faux » ne sont plus adaptés pour comprendre les médias 2.0 qui sont des médias bouillonnants, où chacun à la parole et où les « datas », à la différence des « informations » n’ont plus le temps d’être authentifiées avant de s’imprimer dans le cortex des gens et d’avoir un impact sur leur perception du réel. Mais l’analyse de la société du spectacle 2.0 peut être faite. Elle est faite d’ailleurs, par des intellectuels. Je ne considère pas pour autant que ce soit mon rôle de romancier.

– Depuis le début de l’année , sous la pression des fakenews et de la pression des réseaux sociaux, la chaine de télévision C NEWS est devenue du jour au lendemain : L’info du vrai ! Pour vous , qu’est ce que ça veut dire ?
FM:Les chaînes d’info en continu ont évolué pour se caler sur la temporalité de ce que nous appelions avant le « virtuel ». Les datas circulent à la vitesse de la lumière. Si un diffuseur d’ « informations » se cale sur la vitesse de la lumière, il n’a évidemment plus le temps d’authentifier ce qu’il diffuse. Et je pense que les médias traditionnels, type télévision ou radio, en ont parfaitement conscience. Mais la pression de la concurrence les a conduit dans ce qui constitue une forme d’impasse pour eux. J’ai aussi décidé d’appliquer les codes de l’hypercommunication à un livre pour cette raison. Un livre est un médium froid qui en appelle à l’émotion, certes, mais aussi à l’intelligence, à l’interrogation. Tuer Jupiter n’est qu’une Fake News élevée au rang de littérature. Mais de par la structure physique d’un livre et l’interaction que le lecteur a avec cet objet, la question de l’authentification se pose à chaque ligne.

– Non loin de votre stand, il y avait Patrice Bertin avec sa pile de livres « Là fin du journalisme » Si c’est la fin , c’est le début de quoi ?
– FM: C’est le début d’un monde où les « corps intermédiaires » n’auront plus d’utilité sociale car le monde 2.0 n’a plus besoin d’eux. Il n’y aura plus de filtres, de personnes en charges d’interpréter, de décoder, de donner du sens. Il y a un rapport direct entre un émetteur, et en termes de production, le média 2.0 est très égalitaire, et un récepteur, qui doit se débrouiller tout seul. En conséquence, soit il y a un niveau éducatif et culturel de masse excessivement élevé, soit c’est le début de la fin.

Que vous inspire le 3eme acte des manifestations des gilets jaunes ? On n’est plus dans la fiction de vos livres ?
-FM: Je souhaitais saisir mon époque en écrivant Tuer Jupiter mais je ne pensais pas l’avoir saisi à ce point. Les gilets jaunes, c’est la rencontre entre une déshérence sociale et psychologique, celle des « vaincus de la mondialisation » et la révolution 2.0. Les pouvoirs politiques, dans les démocraties représentatives, ne sont plus adaptés pour faire de la politique. Ils édictent encore des normes, rendant la vie de plus en plus complexe, et tentent de gérer les « émotions collectives », avec des outils du vieux monde. La révolution que nous sommes en train de vivre peut abolir toutes les organisations pyramidales de pouvoir, tous les anciens leviers de la domination. La salariat, qui est une forme de rapport de domination mais sur lequel repose l’intégralité de notre protection sociale, est menacé. La démocratie représentative, celle du citoyen passif, que nous éprouvons en France depuis la révolution de 1789, est menacée.

– Le philosophe Frédéric LENOIR, était également invité à cette 37 éme Foire du Livre à Brive; il conseille  » la méditation comme échappatoire au monde saturé d’informations et le trop plein d’images et d’écrans »: Est ce votre thérapie ?
-FM: Non. Je pense qu’il faut lire des livres et être fraternel. Et redonner du sens à la vie. Dans notre monde, dans notre pays où les humains créent chaque année plus de 2000 milliards de richesses, le vivant a été retiré de la vie humaine. La vie vivante n’est pas de se conformer à l’image de nous-même que nous construisons dans la société d’hyper-consommation. Être vivant, c’est explorer les limites de la condition humaine, si précieuse car elle est fragile. Ressentir des émotions me semble plus émancipateur que posséder un Iphone X.

Interview avec J Robert pour Domoclick.com

Edité par La Manufacture de livres à Paris:

https://www.lamanufacturedelivres.com/livres/fiche/124/medeline-francois-tuer-jupiter

La prochaine Foire du Livre (la 38ème) à Brive la Gaillarde aura lieu du 8 au 10 novembre 2019:
http://www.foiredulivredebrive.net/