A la lecture de cette interview, Eva Joly étonne par sa connaissance des enjeux énergétiques et ses coûts. Il n’est pas question de viser l’énergie 100% solaire d’ici 20 ans comme l’annonce Ray Kurzweil** mais de construire une filière tout-EnR. Sortie du nucléaire, fiscalité écologique, réduction de déficits publics, réforme des retraites, la députée européenne et candidate à la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts (Le 29 juin, elle a obtenue 49,75 % des voix, ce qui implique un second tour face à Nicolas Hulot avec 40,22 %) fait le point sur ses principales propositions économiques en vue de la présidentielle 2012. « On ne peut changer le monde sans détermination comme s’il suffisait de s’aimer les uns et les autres », déclare Eva Joly aux « Echos » dans son édition du 14 juin. Interview par Renaud Czarnes et Guillaume Tabard.

En quoi êtes-vous une meilleure candidate que Nicolas Hulot pour représenter Europe Ecologie-Les Verts à la présidentielle?

-Eva JOLY: Nous portons tous les deux le même programme collectif. Il s’agira de choisir celui qui incarnera le mieux ce projet. Mes atouts, je pense, reposent notamment sur mon parcours et les combats que j’ai menés. Je bénéficie à la fois d’une expérience politique institutionnelle comme présidente de la commission développement au Parlement européen, qui fait suite d’ailleurs à mon expérience au sein de l’agence norvégienne de développement, j’ai trois campagnes électorales à mon actif (européennes, régionales et cantonales). Je pense justement que la meilleure pédagogie pour la transformation écologique de l’économie est de mener des combats, de dire clairement les choix qui sont devant nous, je ne confonds pas pédagogie et démagogie.Nos propositions sont novatrices, elles heurtent souvent des positions acquises. Ainsi, le moratoire sur les OGM n’aurait jamais été obtenu sans l’action des ONG et de personnalités comme José Bové, à la tête des « faucheurs ». La politique, ce sont des choix clairs. On ne peut changer le monde sans détermination comme s’il suffisait de s’aimer les uns et les autres.

En combien de temps la France peut-elle sortir du nucléaire ?

-EJ: Il est important de décider politiquement de la sortie du nucléaire. Cela signifie ne plus construire de nouveaux réacteurs et fermer les plus anciens qui nécessitent les investissements les plus lourds. Il faut laisser les centrales les plus récentes aller jusqu’au terme de leur exploitation -soit 30 ans -et profiter de ce temps pour développer une véritable filière des énergies renouvelables. Le nucléaire est une erreur économique. Aucun autre pays au monde ne s’est fié autant à cette énergie. Contrairement à une idée répandue, seules les énergies renouvelables nous rendront réellement indépendants des importations d’énergies. Ce n’est pas le cas du nucléaire, puisque la France doit importer l’uranium qu’elle utilise et qu’il s’agit aussi d’une énergie fossile dont nous ne maîtrisons pas le coût. Par ailleurs, le nucléaire ne nous met pas à l’abri des importations d’électricité : la France est importateur net d’électricité en période de pointe de consommation. Enfin, il est faux de dire que le coût du KWh d’origine nucléaire est moins cher. Pour parvenir au même niveau de chauffage, les gens équipés en radiateurs électriques ont besoin d’une plus grande quantité d’énergie. L’électricité fournie par le futur réacteur EPR, coûte 60 euros le MWh. L’éolien coûte actuellement 65 euros le MWh. Or le coût de cette énergie baisse tandis que celui du nucléaire va monter en raison notamment des nouvelles mesures de sécurité que la France va devoir prendre. Le prix demandé par EDF aux consommateurs est un prix « politique » : il sous-estime le coût du démantèlement des installations et celui du stockage. Enfin, le chauffage électrique est à l’origine d’une profonde injustice sociale. Les personnes modestes, vivant dans des HLM mal isolées ont des factures colossales. Le nucléaire est une absurdité qui a coûté, et coûte encore cher aux pauvres.

Le président de la République vante l’industrie nucléaire française comme étant un secteur de pointe que le monde nous envie. Mais, quelle sont les perspectives d’Areva ?

-EJ: On parle de cinq réacteurs à construire dans le monde chaque année. Si l’on retient une hypothèse de 4 milliards d’euros par réacteur, cela fait un marché de 20 milliards d’euros. C’est donc un tout petit marché. Celui des énergies renouvelables est estimé à 200 milliards d’euros. Il serait réellement stupide de miser sur une technologie du siècle dernier.

A quelles conditions un accord est-il possible avec le PS sur cette question ?

-EJ: Si je suis la candidate des écologistes, le nucléaire sera la pierre angulaire d’un éventuel accord avec le PS. On ne peut persévérer dans ce non-sens économique. Je ferai un score tel, que le PS n’aura pas d’autre choix que de reprendre nos propositions ! Et si le candidat du PS ne cède pas sur cette question, alors je prédis qu’il sera derrière moi au premier tour !

En quoi concrètement va consister la conversion écologique de l’économie que vous appelez de vos voeux ?

-EJ: La conversion écologique est fortement créatrice d’emplois. En Allemagne, 270.000 emplois ont déjà été créés par le développement des énergies renouvelables et on en prévoit 500.000 en 2020. On peut penser que le nombre sera comparable en France si l’on mène de nouvelles politiques. A comparer aux 50.000 emplois liés à la filière nucléaire. Ces emplois seront d’ailleurs conservés jusqu’à la fin de cette industrie et aux dizaines d’années nécessaires à son démantèlement, soit environ soixante-dix ans.
Autre exemple de conversion écologique : le savoir-faire des chantiers navals de Saint-Nazaire pourrait être utilisé dans la fabrications d’éoliennes. Renforcer l’isolation des bâtiments permettrait de créer quatre fois plus d’emplois pour le même chiffre d’affaires que le développement de la filière gazière qui repose essentiellement sur l’importation de matière première. Le développement de la filière industrielle des énergies renouvelables soutiendra l’activité économique de PME innovantes, plus créatrices d’emploi et plus citoyennes que les multinationales. Les entreprises du CAC 40 ne paient que 8% d’impôt en moyenne contre 26% pour les PME. Nous proposons un taux différent d’impôt sur les sociétés en fonction de la taille et l’utilisation des bénéfices entre la rémunération des actionnaires et l’investissement. Il n’y a pas que l’industrie qui soit concernée par la conversion écologique. Nous préconisons une agriculture de proximité, seule capable de nourrir l’humanité tout en créant des emplois. Ce retour à une agriculture paysanne qui pourrait avoir lieu avec la révision de la PAC, en 2013, pourrait générer jusqu’à 1 million d’emplois en Europe.

Que proposez-vous en matière de fiscalité écologique ?

-EJ: Nous souhaitons une grande réforme du système fiscal français : il est très injuste car, proportionnellement, les plus riches paient moins que les classes moyennes. Le besoin de financement de la reconversion écologique est évalué par la Commission européenne à 2,5% du PIB, soit environ 50 milliards d’euros par an. Dans ces 50 milliards, 15 milliards doivent relever de l’investissement public car ils ne seront jamais rentables. Pour les financer nous supprimerons également 10 milliards de niches fiscales anti-écologiques, comme la TVA réduite sur les pesticides, comme la dispense de TVA sur le kérosène utilisé sur les vols intérieurs ou les subventions aux agro-carburants. Nous supprimerons également la TVA réduite sur la restauration, la dispense d’impôt sur les heures supplémentaires. Enfin pour financer le solde nous mettrons en place une contribution climat énergie. Mais l’Etat ne doit pas tout financer ! Ce n’est pas au contribuable de payer les travaux d’isolation de la maison de Madame Bettencourt ! Nous allons combiner cette politique fiscale à une politique de normes : par exemple, une cession de propriété ne pourra être faite si les travaux d’isolation ne sont pas effectués. Nous allons « flécher » une partie de l’épargne pour financer ces projets. Dominique Strauss-Kahn, lorsqu’il était ministre de l’Economie, avait imposé dans l’assurance-vie une partie dédiée aux PME. On pourrait reprendre cette idée et obliger les assureurs à investir dans les investissements verts financièrement rentables grâce aux économies d’énergie réalisées.

La suite de l’interview publiée par Les Echos:
http://www.lesechos.fr/economie-politique/politique/interview/0201439159325-eva-joly-la-conversion-ecologique-creera-500-000-emplois-176276.php

** Le site officiel du futurologue Ray Kurzweil
http://www.kurzweilai.net/

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