La dernière édition lundi 30 pour La Tribune après 27 ans d’histoire agitée va-t-elle faire exploser les compteurs des rotatives ? Elle a lieu dans la nuit où le président français Nicolas Sarkozy annoncera dimanche 29 une hausse de la TVA de 1,6 point et une légère hausse de la CSG sur les placements financiers selon des sources gouvernementales, à la veille d’une émission avec le chef de l’Etat à la télévision. Cet événement politique majeur va donc boucler la dernière édition du quotidien économique, le jour où le Tribunal de commerce doit se prononcer su sa destiné face aux trois propositions de reprises par trois groupes financiers ou d’éditions. Explications.

"La Tribune doit vivre", édition du 27 et 28 janvier 2011

Ces hausses doivent permettre de transférer sur ces deux impôts une partie du financement de la protection sociale, qui jusqu’ici repose uniquement sur les cotisations salariales et patronales. Les rotatives du quotidien vont tourner une dernière fois dimanche soir pour l’ultime édition imprimée de La Tribune, 4.903ème numéro qui signera la fin de 27 années d’une histoire mouvementée, ponctuée de nombreux changements de mains et riche d’un journalisme audacieux.

Embarquant pour 27 ans de difficultés financières, le journal est lancé en 1985, succédant à un quotidien du soir, « Le Nouveau Journal », héritier lui-même de « L’Information », né dans les année 50.
A sa création, La Tribune annonce la couleur: devenir un journal économique différent mais de référence, à l’égal des Echos, leader solidement installé depuis le début du XXème.
Positionné « libéral » et considéré comme « centre-gauche », le journal est dirigé par trois journalistes qui ont quitté Le Monde: Jacques Jublin, Jean-Michel Quatrepoint et Philippe Labarde qui en sera le charismatique patron de rédaction plusieurs années durant.
La Tribune de l’Economie devient La Tribune de l’Expansion après un premier rachat par le groupe de Jean-Louis Servan-Schreiber qui cède le journal à l’homme d’affaire franco-libanais Georges Ghosn.
Ce dernier fusionnera alors le journal avec le quotidien boursier centenaire La Cote Desfossés et le rebaptisera La Tribune Desfossés.
Malgré une santé financière vacillante, La Tribune reste alors sur une ligne rédactionnelle originale, se démarquant de la presse économique classique avec des angles originaux, des scoops régulièrement mis en avant et des titres plus percutants, une politique éditoriale fièrement revendiquée jusqu’à aujourd’hui par ses journalistes.

Motions de défiance

De nouveau à vendre, La Tribune est alors rachetée, moins d’un an plus tard, par LVMH, le groupe contrôlé par Bernard Arnault. La Tribune Desfossés devient La Tribune tout court: nouvelle maquette, nouveau logo, passage à la couleur et nouvelle direction, mais toujours son ton parfois dérangeant dans le monde feutré de l’économie, de l’entreprise et de la finance. LVMH constitue son petit groupe de presse, DI Group, qui rassemble notamment Investir, Radio Classique et Connaissance des Arts.

En 2003, François-Xavier Pietri, directeur d’Investir, prend les rênes de cette rédaction réputée « rebelle ». Les journalistes voient en lui l’homme de Bernard Arnault, plusieurs motions de défiance sont votées contre lui.Mais il laissera les journalistes disposer de la Une le 22 octobre 2007 pour dénoncer les conditions de la vente du journal, « M. Arnault, divorçons dignement » s’affiche en immenses caractères sur fond blanc. Trois mois plus tard, l’entrepreneur de médias Alain Weil (RMC, BFM…) reprend le journal avec une confortable soulte de 45 millions d’euros versée par LVMH et destinée à éponger trois ans de pertes à venir. Accusé de faire de l’information « low cost » et de vouloir noyer La Tribune dans un groupe multi-supports, M. Weil ne voyant pas de rentabilité à l’affaire jette l’éponge et cède 80% de La tribune à sa directrice générale, Valérie Decamp*.

Bataillant pour trouver des investisseurs dans une affaire qui n’a jamais rapporté un centime, comme nombre de quotidiens nationaux, Mme Decamp finit par demander pour La Tribune la protection de la justice puis sa mise en redressement judiciaire. Aucune offre de reprise n’envisagera de garder la version imprimée du journal qui devra continuer sa vie sur le seul web.
Vendredi, plusieurs journalistes évoquaient sur Twitter leur « dernier papier pour la dernière Tribune ». Des dizaine de tweets confraternels assuraient quant à eux leur soutien aux salariés.

LA TRIBUNE – 24/11/2011
Message de Valérie Decamp aux lecteurs de La Tribune

Aujourd’hui, ce 24 novembre, est un jour important pour La Tribune. Je viens d’annoncer à nos collaborateurs ma décision d’organiser un plan de cession et de chercher un repreneur ainsi que mon projet de demander au tribunal de commerce une conversion en redressement judiciaire avant la fin de l’année.C’est une décision extrêmement difficile qui emporte des conséquences lourdes, notamment pour le personnel de La Tribune, mais c’est une décision de gestion responsable et raisonnable, la seule possible aujourd’hui au regard de la situation de l’entreprise.

Comme de nombreuses sociétés en France, nous subissons les conséquences de deux crises majeures et inédites intervenues en moins de 36 mois. En dépit du redressement significatif que nous avons amorcé, La Tribune a subi de plein fouet ce double choc. Aucun titre de presse n’est épargné comme en témoignent les difficultés de nombre de nos confrères. Mais La Tribune est d’autant plus impactée qu’elle est indépendante et n’est la propriété d’aucun grand groupe, qu’elle était déjà dans une situation financière fragile auparavant et que ses revenus dépendent largement de la publicité et donc de la situation économique générale. L’état de notre trésorerie s’est par conséquent brutalement et rapidement détérioré depuis l’été, au point qu’il sera bientôt critique…

Le message de Valérie DECAMP à suivre sur Latribune.fr
http://www.latribune.fr/technos-medias/medias/20111124trib000666569/message-de-valerie-decamp-aux-lecteurs-de-la-tribune.html

Domoclick.com avec l’AFP