Real Humans (100% Humain), la série événement d’Arte arrive le 4 avril. Ce soir; Lars Lundström enclenche la machine du futur. Il a écrit des séries de fiction depuis plus de quinze ans : Poliser, Labyrinth, Wallander, et aujourd’hui Real Humans (Akta Manniskor en VO), dont il a imaginé l’univers de A à Z. A l’occasion de la diffusion de la série sur ARTE,les jeudis à 20h50, à partir du 4 avril, Arte a rencontré le créateur, Lars Lundström, de la série suédoise la plus intrigante du moment. Parce qu’elle fait de ce plongeon dans la fiction un divertissement extrèmement impliquant sur les nouveaux débats de sociétés.

La série reprend tous les fantasmes mythologiques liés au genre robot androïde
Dans un monde proche du nôtre, les hubots (human robots) ressemblent à s’y méprendre aux êtres humains qu’ils remplacent dans les tâches domestiques. Une cohabitation qui engendre des relations complexes et des émotions contrastées, entre amour et haine, alors que certains humanoïdes rêvent d’émancipation. Assistance aux personnes âgées, aide aux devoirs, tâches domestiques : ces employés modèles sont serviables et corvéables à merci. Mais leur étrange présence engendre des émotions contrastées parmi les humains. Plébiscités par certains, ils suscitent une hostilité croissante chez d’autres, d’autant que la frontière entre êtres vivants et machines s’estompe, a fortiori quand l’amour s’en mêle. Interview (1/2*) par Oriane Hurard pour Arte.

La robotique est un thème très courant en science-fiction. Comment vous l’êtes-vous approprié ?

Je n’ai jamais été un grand fan de science-fiction, aussi loin que je me souvienne. Je n’ai rien contre, mais je n’ai jamais été obsédé par ça. Je ne sais plus comment l’idée de la série m’est venue exactement, mais je crois que c’était en regardant une image des androïdes faits par les Japonais. Je me suis dit qu’on pouvait construire un univers dramatique autour de machines à l’apparence humaine qui pouvaient être vendues, ou remisées à la casse, cela pouvait fonctionner comme un miroir pour nos propres existences, sur ce que cela signifiait d’être humain.
Je n’ai donc jamais vraiment pensé Real Humans comme une série de science-fiction mais plutôt comme une série dramatique, avec des éléments de science-fiction à l’intérieur. Je comprends néanmoins qu’on puisse la considérer aujourd’hui comme une série de genre, et cela ne me dérange pas. J’ai eu une idée, il y a longtemps, de série avec des super-héros. Mais je ne pense pas que j’aurai été capable de la réaliser en Suède, je la voyais plus comme une série américaine. Avec l’idée de Real Humans, j’ai réalisé très vite que c’était une idée faisable, plus réalisable, et nous avons donc commencé à y travailler sérieusement.

La série, et particulièrement le pilote, montre un vrai mélange entre, d’une part, un univers de science-fiction très sombre à la A.I de Spielberg ou Bienvenue à Gattaca d’Andrew Nicol et, d’autre part, certaines séries américaines à la Desperate Housewives. Est-ce que vous assumez ces références ?

Je suis ravi que vous citiez Desperate Housewives, parce que c’est une référence intéressante et pas du tout honteuse selon moi. Les deux premières saisons sont très réussies selon moi, ils ont réussi à trouver un bon équilibre entre le soap et le mystère. Desperate Housewives a vraiment été une bonne inspiration car c’est exactement ce que nous voulions faire avec Real Humans : partir de la comédie, du soap, pour se diriger vers le drame, le suspense, presque jusqu’à l’horreur. C’est ce « cross-over » entre les genres qui me motivait vraiment.

Roger (Leif Andrée) et ses collègues (Crédit photo: Image data)

Roger (Leif Andrée) et ses collègues – © SVT

Aviez-vous d’autres références en tête pour la série ?

J’ai travaillé sur quelques séries avant Real Humans, notamment sur Labyrinth ; à chaque fois j’essaie vraiment de mélanger comédie et tension. C’est ce genre de « mash-up » que j’aime faire en télévision. Je ne suis pas si sûr que le cinéma pourrait en faire autant. Avec un film, vous devez aller droit au cœur de votre histoire. En dix heures, vous pouvez prendre votre temps et surtout aller plus loin qu’aucun film ne peut le faire. True Blood est une série qui n’a pas à expliquer le monde dans lequel on se situe, le spectateur y est plongé tout de suite. Cela m’a fait comprendre que nous pouvions faire ça nous aussi dans Real Humans.

Avez-vous travaillé avec des spécialistes en robotique afin de concevoir les hubots ?

Pas vraiment, en fait. J’ai rencontré quelques spécialistes, mais les avancées actuelles en robotique n’ont vraiment rien à voir avec ce que nous montrons à l’écran dans Real Humans. Ils sont encore tellement loin du degré de sophistication des hubots, je ne sais pas s’ils seront un jour capable de faire des robots aussi perfectionnés.Peut-être que les avancées scientifiques nous le permettront un jour, j’espère !

Vous l’espérez, vraiment ?

Cela serait passionnant ! Si nous prenons en main correctement leur développement, de façon responsable, je suis persuadé que cela pourrait être très bénéfique dans beaucoup de secteurs.En revanche, si on crée quelque chose et que l’on se contente de le mettre sur le marché, sans aucune prise de responsabilité, c’est un vrai risque. Cela demanderait une vraie réflexion et un vrai débat public.

Comment avez-vous travaillé sur la gestuelle et le jeu si particuliers des hubots ?

Nous avons beaucoup travaillé sur ce point en effet. Nous avons produit un pilote d’une dizaine de minutes, pour lequel nous avons établi des règles de maquillage, pour les yeux, les cheveux…
Nous n’avions que le corps de l’acteur à notre disposition, donc nous pouvions travailler sur son physique et sur ses mouvements. Il y a bien sûr eu des ajustements : au départ, les mouvements étaient très saccadés, faisaient justement trop « robot », et quand les hubots interagissaient ainsi avec les humains, en particulier dans les scènes de dialogue, c’était très ennuyeux à regarder. C’était trop saccadé, trop carré.

Nous avons finalement travaillé avec un artiste mime, pour apprendre à bien décomposer les mouvements, et ensuite à les recomposer de façon fluide. Ensuite, il fallait réfléchir à effacer tous les petits gestes naturels humains : ne pas cligner les yeux aussi souvent, ne pas se gratter ou se toucher le visage, se tenir droit. En gros, les comédiens devaient agir normalement, mais d’une manière anormale, non organique. Les hubots agissent comme des humains, mais on voit qu’ils ne sont pas vraiment des humains. Ce sont comme des mauvais acteurs, dans un sens : on voit tout de suite ce qu’ils essaient de faire.

Vous faites plusieurs fois référence aux lois d’Asimov. Pourquoi avez-vous choisi de baser vos hubots sur ces principes émis par le célèbre écrivain ?

Ce n’était pas tant pour se référer absolument à Asimov, mais plutôt pour utiliser la logique des lois qu’il a écrites, qui sont tout à fait pertinentes. Quand vous créez un produit, comme une voiture par exemple, il lui faut des restrictions. Vous devez brider le moteur pour limiter la vitesse, et il faut également des règles pour interagir avec les autres voitures, c’est ce que fait le code de la route.J’aime comparer les robots aux voitures : cela peut être très pratique comme très dangereux. C’est pour cela qu’il faut des limites aux deux, c’est pour cela j’ai inclus des restrictions relatives aux lois d’Asimov dans le logiciel des robots. Mais ce sont des restrictions que l’on peut cracker…

Pourquoi avez-vous choisi de centrer l’histoire uniquement dans une petite ville suédoise, sans aucune mise en avant d’un contexte politique ou international ?

Nous avons voulu créer un monde dans lequel il pouvait y avoir des actions, des rencontres intenses d’un point de vue dramatique. Quand vous situez votre action aux quatre points du globe, c’est beaucoup plus compliqué d’obtenir cette intensité, d’avoir des histoires auxquelles vous pouvez vraiment vous identifier.En revanche, il y a de la politique dans Real Humans, pas forcément au sens institutionnel du terme, mais plutôt dans l’idée de débat public, comme le montre d’ailleurs l’organisation « Akta Manniskor ». Nous avons également porté beaucoup d’attention à ne pas faire trop de références spécifiques à la culture suédoise, pour que le message de la série puisse être perçu par le plus grand nombre. Certains panneaux de signalisation ont même été enlevés des routes ! Nous avons fait en sorte que la série puisse se passer dans n’importe quel pays, même s’il s’agit bien évidemment la Suède.

Qu’arrive-t-il dans les autres pays : ont-ils les mêmes problèmes avec les hubots ?

Oh oui ! Ils ont les mêmes problèmes, ou d’encore pires parfois, car les lois ne sont pas forcément les mêmes selon les pays. Cet aspect sera davantage développé dans la saison 2, où un personnage voudra quitter la Suède pour se rendre dans un pays où la loi est plus souple. Aux Pays-Bas vous pouvez vous marier avec un hubot.

Avez-vous créé le personnage de David Eischer comme une sorte de Dr Frankenstein moderne ?

On peut dire ça, en effet. Il passe tellement de temps avec ses hubots qu’il finit par tourner le dos au genre humain en général, ainsi qu’à sa propre humanité. Il en vient à détester son propre corps, qu’il sent vieillir, pourrir peu à peu. Sa condition biologique le rend malade, et il se met à la rejeter. Il veut devenir comme ses hubots qu’il appelle d’ailleurs ses « enfants ».

Suite de l’INTERVIEW le 6 avril:

Domoclick.com avec Arte