Internet est devenu un hyper-média dont on ne peut plus se passer. Mais au lieu de surpasser la télévision, Internet a surtout permis à cette dernière de devenir plus puissante que jamais conclut Isabelle Veyrat-Masson (Directrice du Laboratoire Communication et Politique, associée au Centre d’histoire de Sciences po) dans une interview publiée le 17 août 2012 par Atlantico. « Internet a boosté la télévision et lui a même offert une nouvelle vie. » Laquelle ? Propos recueillis par Valérie Meret .
-Atlantico : Le web a t-il vraiment dévoré la presse ?
Isabelle Veyrat-Masson: Je ne pense pas que l’on puisse répondre à cette question. La presse écrite est un secteur très à part. Par ailleurs, elle a très bien réagi à l’avènement du web. Aujourd’hui, les gens n’ont jamais autant lu Le Monde ou un autre quotidien. Et ça, c’est grâce au web. La presse écrite est en plus régie pas des règles économiques très spéciales où il y a de grands groupes en jeu. On ne sait pas de quoi demain sera fait.
Le web prend-il le pas sur la télévision et ses audiences ?
IVM: faut toujours tirer les leçons de l’histoire : les médias se succèdent, évoluent les uns par rapport aux autres. Malgré les nouveaux médias, les anciens ne disparaissent pas forcément. La télévision n’a pas fait disparaître la radio. Tous peuvent clairement coexister.Ce qu’il faut savoir de plus, c’est que la télévision n’a jamais été aussi puissante qu’aujourd’hui. Le temps passé devant le petit écran ne cesse d’augmenter aux États-Unis mais aussi en France. Internet n’a rien changé de ce côté. La télévision est très vivante : dans les événements politiques, les révolutions arabes par exemple…Ce n’est pas Internet qui a tout déclenché mais la chaîne Al-Jazeera. En Tunisie, en Égypte ou ailleurs, c’est elle qui a donné le « la » et qui a permis toutes ces réflexions sur le printemps arabe. La télévision a un rôle politique. On parle d’une multiplication de chaines et c’est vrai. L’offre a été multipliée par dix. Signe de bonne santé, signe aussi d’une demande. Les audiences dès qu’il y a du sport ou des évènements de type discours politiques sont considérables. La télévision est le média dominant de notre époque et elle n’est ni remise en question ni attaquée par le web.
-Quelles sont alors les vraies conséquences d’Internet sur la télévision ?
IVM: Internet a des conséquences sur les contenus. Grâce au web, la télévision a pu s’adapter notamment dans le domaine de l’information. Les journaux télévisés font toujours de très gros scores mais la différence, c’est que le téléspectateur qui le regarde est informé en amont grâce à internet. Il ne découvre pas devant le JT ce qui se passe dans le monde : ça, c’est fini ! Cette tendance a été accélérée par Internet. La conséquence, c’est que le journal d’information va s’adapter à ce nouveau public.
Internet permet aussi la fin de la censure. A quoi cela servirait-il de ne pas parler d’un truc à la télévision alors qu’Internet ouvre en grand la boîte des rumeurs et des informations cachées? C’est typiquement le syndrome Wikileaks où Julien Assange raconte tout sur les coulisses de la politique. Pourquoi la télévision cacherait tout cela désormais? Internet délégitime toute tentative de censure. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existe plus, elle est juste très différente. Ce qui est frappant avec internet, c’est la disparition de certaines frontières. C’est un hypermédia, un mélange des trois que l’on connaît déjà et qui influence les pratiques et les usages. Il n’y a plus vraiment de barrières, le public se mélange au privé. La télévision a adopté ce régime là aussi du coup. Il n’y a plus de barrières morales et tout devient un divertissement. C’est une vraie évolution. Le web a aussi cassé la frontière entre les « vrais gens » et les professionnels. Grâce à Internet, les téléspectateurs sont devenus des « experts » en politique et en divertissement. Certains pros peuvent voir leur spécialité disparaitre et reprise par des gens « lambdas ». Du coup, à la télé, on va labellisé à fond les gens qui interviennent. Ils deviennent tous des spécialistes. On n’a jamais vu autant d’experts à la télévision.
Autre conséquence importante d’Internet , c’est sur les émissions qui ne traitent pas d’informations. En effet, maintenant on peut regarder la télévision en dehors de la télévision. On ouvre son ordinateur, les programmes sont à la carte. C’est la fin d’un certain usage peut-être mais par rapport à l’objet, par rapport au « récepteur ». Mais finalement, les comportements ne changent pas plus que ça. La télévision n’a jamais été aussi forte : même les gens qui n’aiment pas la regarder vont pouvoir désormais le faire sur Internet, dans leur chambre par exemple, le tout en différent l’heure du visionnage.
La télévision n’a finalement pas eu besoin de réagir outre mesure face à Internet ?
IVM: Elle a quand même du s’adapter. L’information déjà : plus de rythme, plus de contenus, plus de liens avec les réseaux sociaux. Toutes les émissions sont désormais à suivre en live sur Twitter que ce soit le tour de France ou Secret Story. La technique s’est développée, les graphismes aussi. Pour le divertissement ou la fiction, la télévision a mis en place le replay, le téléchargement des émissions. Elle a donné aussi une seconde vie à ses émissions avec des best-of ou des reportages sur la vie de certains héros de séries. On peut continuer de suivre sa série préférée même quand elle n’est plus à l’antenne. Le public adore ça.
SUITE de l’interview d’ Isabelle Veyrat-Masson::
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