Immense soulagement sur la planète des auteurs et des éditeurs… quelques jours après la fermeture du salon du Livre de Paris (18-21). La justice américaine a mis un coup d’arrêt mardi 22 mars au projet de Google de mettre tout le savoir en ligne via la numérisation de tous les livres, en rejetant un accord conclu entre le géant de l’internet et des auteurs et éditeurs américains. « L’accord n’est pas équitable, adéquat ou raisonnable », a déclaré le juge fédéral de New York Denny Chin, dans une décision aussitôt regrettée par Google, la Guilde (syndicat) des auteurs et l’Association des éditeurs américains. Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand qui avait été en Californie cet hiver pour protéger les auteurs, a exprimé sa satisfaction du rejet par la justice américaine de l’accord entre Google et les auteurs et éditeurs de ce pays qui signe le gel du projet de bibliothèque universelle du géant de l’internet. Ouf, il n’y a plus qu’à instituer une loi Européenne pour que ce processus de protection des droits intellectuels et de la création trouvent ses limites !

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Le ministre « constate avec satisfaction que cette décision va dans le sens des observations adressées par le gouvernement français au juge américain concernant l’atteinte portée au droit d’auteur par le programme Google Livres » (Google Books), indique le ministère dans un communiqué. Le projet de Google présente un « risque de monopole sur l’exploitation de plusieurs millions d’oeuvres protégées, notamment françaises, devenues indisponibles à la vente dans leur version imprimée », poursuit le communiqué.
« Cette décision de justice valide la stratégie mise en oeuvre en France par le ministère et les professionnels français du livre pour favoriser la diffusion des oeuvres dans l’univers numérique tout en respectant le droit d’auteur », ajoute le communiqué, citant « le partenariat négocié avec les auteurs et éditeurs pour numériser 500.000 livres indisponibles du XXe siècle ». Le Syndicat national de l’édition (SNE) « se réjouit » aussi mercredi soir du rejet par le juge américain du règlement Google, « fondé sur des principes qui vont à l’encontre du droit d’auteur ». Plusieurs centaines d’objections avaient été émises contre ce règlement, « notamment par le SNE, ainsi que par le ministère de la Culture français et les ministères de la justice américain et allemand, ainsi que de nombreux auteurs et éditeurs », souligne le syndicat professionnel dans un communiqué.

La décision américaine, renchérit le ministère, « rend d’autant plus nécessaire l’adoption, au sein de l’Union européenne, de tels partenariats entre autorités publiques et acteurs privés du livre, dont le Comité des Sages sur la numérisation, présidé par Maurice Lévy, vient de démontrer toute la pertinence ». Frédéric Mitterrand, qui s’est rendu début mars en Californie pour rencontrer les grands opérateurs américains de l’internet, « rappelle son souhait que, dans le prolongement du protocole d’accord passé avec Hachette, un règlement général, fondé sur le respect du droit d’auteur, puisse être trouvé aux différends opposant Google aux ayants droit français », conclut le communiqué.

Si la Guilde, le syndicat des auteurs et l’Association des éditeurs américains étaient parvenus à un accord en octobre 2008 censé mettre fin à des poursuites lancées en 2005, portant sur les droits d’auteur de livres numérisés devenus rares ou introuvables, ils n’étaient pourtant pas encore tombés dans le domaine public. L’accord prévoyait que Google verse 125 millions de dollars pour rémunérer les auteurs dont les oeuvres auraient été numérisées sans autorisation, et établisse un « Fonds de droits du livre » assurant un revenu aux auteurs acceptant que leurs livres soient numérisés. L’accord ayant été bloqué, la situation actuelle est gelée: Google ne met en ligne que de très courts extraits de ces livres épuisés et soumis à droits d’auteur.

Si l’accord avait été approuvé, Google aurait mis en ligne jusqu’à 20% de ces ouvrages, les internautes devant payer pour accéder à l’intégralité de l’ouvrage. Les recettes auraient été reversées au « Fonds de droits du livre ».
Mais le juge a soulevé plusieurs objections, se montrant en particulier réticent à récompenser Google « pour s’être lancé dans la copie à grande échelle d’ouvrages couverts par des droits d’auteur sans permission ».
De fait, argumente le juge, on peut penser que « l’accord donnerait à Google le contrôle du marché de la recherche », puisque c’est à travers les sites du groupe que seraient référencés les contenus de ces ouvrages.
Cet aspect « est essentiel pour nous », a expliqué à l’AFP Gary Reback, le directeur juridique du collectif Open Book Alliance, opposé à l’accord. Ce collectif comprend notamment des concurrents de Google comme Microsoft et Amazon, ainsi que des représentants d’auteurs et de bibliothèques. Le juge Chin a relevé qu’une solution pourrait être envisageable si la participation des auteurs et éditeurs à l’accord était optionnelle (opt-in), alors que l’accord la rend automatique sauf exception (opt-out). Mais comme l’a noté M. Reback, il est improbable que Google cède sur ce point. « Nous allons (…) envisager nos options », a seulement dit une responsable du service juridique de Google, Hilary Ware.

« Comme beaucoup d’autres, nous pensons que cet accord a le potentiel d’ouvrir l’accès à des millions de livres qui sont actuellement difficiles à trouver aux Etats-Unis. Quelle que soit l’issue, nous continuerons à travailler pour que plus de livres puissent être découverts en ligne grâce à Google Books et Google eBooks », a-t-elle ajouté. Le président de la Guilde (syndicat) des Auteurs, l’auteur a succès Scott Turow, a également regretté la décision du juge, estimant que « cette (bibliothèque d’)Alexandrie des livres épuisés semble perdue pour le moment ». « Ouvrir un bien plus grand accès aux livres épuisés grâce aux nouvelles technologies qui créent de nouveaux marchés, c’est une idée dont le temps est venu », a ajouté M. Turow.

Les éditeurs partie prenante à l’accord ont comme lui espéré pouvoir parvenir à un nouvel accord.
Reste que pour l’association de défense des consommateurs Consumer Watchdog, la justice a infligé une vraie gifle à Google. « Google fonctionne entièrement sur le principe de ne jamais demander de permission, et de demander pardon si nécessaire », a déclaré John Simpson, un responsable de cette organisation. « C’est un message aux ingénieurs du Googleplex: la prochaine fois qu’ils veulent utiliser la propriété intellectuelle de quelqu’un, il faut demander la permission ».

Domoclick.com et l’ AFP