INTERVIEW de François de Closets , journaliste, écrivain , auteur du célèbre « Toujours plus », enquêteur sur les dérives françaises , et auteur du récent « Zéro Faute » s’entretient pour Domoclick.com sur les innovations 2009-2010 !

«  Il nous faut apprendre à vivre en prix-écologique, non en prix-économique »

Domoclick: Vous qui connaissez bien la société française à travers vos enquêtes et depuis le choc de l’année 2009, la grande question est et a été, comment vivre autrement ?

François de Closets: La première question c’est d’essayer de reprendre ses esprits, son indépendance d’esprit, de ne pas penser dans le moule, qu’elle que soit le problème qui se pose, on a des prêts-à-penser qui nous sont offerts. Automatiquement, on va essayer de juger les choses comme ci, comme ça. Je crois que nous avons, et surtout en France, des représentations fausses du monde et de la réalité. Par exemple, qu’est-ce-que j’ai voulu faire sur l’orthographe* c’est de revenir à la réalité . Qu’est ce qui se passe ? Où sont les problèmes ? Quelles sont les causes des crises ? Et quelles peuvent-être les remèdes ? Je parle de ça hors de toutes passions or je trouve que l’orthographe c’est une passion , c’est même une crispation française. Nous avons une attitude entièrement idéologique , on ne veut pas, on ne peut pas voir la réalité. C’est la même chose quand il s’agit de nos finances, qu’il s’agisse de la fin de vie. Il faut que nous apprenions à regarder la réalité comme elle est. Quand le monde change, nous y adapter , non pas pour changer, nous, mais pour rester nous-même. Car quand on ne change pas dans un monde qui change, on se détruit.

-Selon vous, est-ce que le mot « développement durable » est un mot fiable, compris par tous ?

-FdeC: Je n’aime pas le mot, c’est une expression. Je voudrais qu’on ait un peu plus d’imagination. Moi, je n’y ai pas réfléchis, je n’ai pas cherché ce qu’il faudrait mieux dire. Je sais que « développement durable » n’est pas satisfaisant. D’une façon général, dès lors que le français ne sait répondre que par un ensemble de mots, par des périphrases à des mots anglais beaucoup plus dense , alors nous perdrons. Il faut que nous ayons plus d’imagination.

La taxe carbone est la grande nouveauté du plan de Finances 2010, est-elle une bonne solution ?

-FdeC: Je pense qu’il nous faut apprendre à vivre en prix écologique et non en prix économique. L’écologie c’est de l’économie à long terme. Lorsque nous fixons un prix, il ne doit pas être seulement un prix instantané selon l’état du marché, voire de la spéculation, il doit être un prix qui tient compte de l’évolution à long terme. De ce point de vue là, il est tout à fait normal que les activités qui puisent dans le stock disponible de l’humanité, voire qui amenuisent son milieu naturel soit pénalisé et coûte donc plus cher. Alors, quelles doivent être les modalités de la taxe carbone ? ça c’est un problème technique qu’on ne peut pas discuter en trois phrases. Mais on ne peut pas transiger sur le fait que les activités polluantes et grandes consommatrices d’énergie doivent être pénalisés au delà des seuls coûts du marché. On ne peut pas continuer à vivre sur cette externalisation des coûts écologiques.

-Plusieurs marques ,dont une française, de « liseurs » de livres électroniques arrivent sur le marché tandis que les éditeurs sont à la recherche d’un modèle économique de la numérisation du livre, un grand défi sur les nouveaux usages. L’écriture est votre métier, êtes-vous pour ou contre le livre électronique ?

FdeC: D’abord, on n’est jamais pour ou contre une nouveauté technique. Ce que l’humanité invente ne se désinvente pas. C’est totalement inutile de dire je suis contre la voiture, je suis contre l’avion, contre la télévision. L’humanité l’a inventé, donc le livre électronique est une réalité. Cela posé, une innovation technique n’est pas en soi un progrès, c’est l’usage qu’on en fait qui peut en faire un progrès. Et le mauvais usage peut, au contraire, en faire une catastrophe. C’est exactement la question qui se pose pour le livre électronique, va-t-il donner de nouvelles facilités de lecture, en plus que celle que nous offre traditionnellement le livre ? Ou, au contraire, va-t-il détruire la notion même d’œuvre et faire tomber la production littéraire dans le grand n’importe quoi ? Par la gratuité ou le piratage généralisé ? C’est ça le problème du progrès technique, il est toujours dans le mode d’emploi !

-C’est le droit d’auteur qui est menacé ?

-FdeC : Le droit d’auteur est un progrès considérable dans l’histoire de l’humanité. Mais aujourd’hui , nous n’avons pas un mode d’emploi satisfaisant d’internet et de toutes les techniques associés pour la préservation des œuvres musicales, cinématographiques et littéraires. Il faut absolument préserver coûte que coûte cette notion d’œuvre et ne pas la laisser à l’abandon au bord du chemin, que n’importe qui ramasse par effet d’aubaine, à l’égal d’un vulgaire déchet.

-On peut imaginer que le livre numérique deviendra interactif, cela voudrait dire que le «  clavardage » (bavarder sur un clavier * ) pourrait se propager dans le livre numérique. Que pensez-vous de cette anticipation ?

FdeC: Oui, je pense que ce serait particulièrement le cas pour toute la littérature scolaire. Dans un livre, vous avez les notes, une sorte d’hypertexte , qui vous donne une référence. Il serait tout à fait naturel qu’avec les supports numériques, les références vous renvoient directement aux documents ou vous donne l’adresse du document. C’est clair, c’est un élargissement qui est valable pour certaines oeuvres. Je ne voie pas bien la nécessité de l’hypertexte pour un roman, ni de truffer La recherche du temps perdu de liens avec la vie du 19éme siècle. Mais pour le livre scolaire et technique, oui, au contraire.

-Numérique ou pas, Noël arrive et le manque d’idées également: par exemple, quel cadeau conseillez-vous pour une jeune fille ?

-FdeC: Vous savez, je n’ai jamais vu dans le cadeau que le geste de celui qui donne et pas l’objet que l’on donne. Je pense que le cadeau, la valeur passe de la personne qui donne à l’objet que l’on donne, alors la relation se détruit. La question n’est pas de savoir ce que vous donnerez à un jeune mais de savoir la chaleur du geste et le contact, le sens de la relation qui s’établit. Et cette relation peut se faire aussi bien à travers la fleur des champs qu’un bambin fait à sa mère qu’un superbe voyage qu’on offrirait à un jeune qui a travaillé comme un fou pour réussir ses études. L’important c’est le regard de celui qui donne.

Propos recueillis par Jérôme ROBERT pour Domoclick.com

* La définition du clavardage est évoqué sur le plateau de Corrèze Télévision à la Foire du Livres de Brive la Gaillarde. Le débat autour de la langue française entre François de Closets et Claude Hagège, deux spécialistes en la matière répondent aux questions de Nathalie Six. A voir en vidéo:

Zéro faute , L’orthographe, une passion française
François de Closets (Essai (broché). Paru en 09/2009: