Avec la généralisation des contenus numériques et des écrans dont les liseuses , ça devait arriver: La nouvelle bibliothèque de San Antonio, entièrement digitale, proposant jusqu’à 10 000 livres numériques et 500 e-readers, ressemble à une boutique Apple. Mais cet espace virtuel peut-il encore être appelé une bibliothèque ? s’interroge la newsletter trimestrielle des Ambassades de France à New York et Ottawa** qui nous rapporte cette information. D’autres villes américaines se lancent dans cette aventure qui, au delà des problèmes liés à la filière papier, annonce la création d’une nouvelle forme de commerce de proximité de 40 à …4000m2 ! La rennaissance du cybercafé se dessine.

Jamais vous n’auriez imaginé que le créateur visionnaire de la première bibliothèque publique virtuelle des Etats-Unis puisse s’appeler Nelson Wolff, juge du comté de Bexar (Texas). En effet, l’ancien maire de San Antonio ne possède pas de e-reader (« je refuse de lire des livres numériques ! », clame-t-il) et pendant des années, il a collectionné les premières éditions papier des romans modernes.
Dans les années 1990, Wolff a aidé à édifier la bibliothèque publique de San Antonio : 240.000 mètres carré, six étages, et un coût de construction de 50 millions de dollars. Un bâtiment dont la ville ne sait plus que faire. Aujourd’hui, Wolff affirme qu’il ne construirait plus un lieu aussi vaste.
Mais « il y a 20 ans, qui aurait cru que nous en serions là où nous en sommes aujourd’hui ? » déclare-t-il.
Samedi 14 septembre 2013, la bibliothèque entièrement numérique du comté de Bexar – une surface de 4 000 mètres carrés ayant coûté 2,4 millions de dollars – ouvre au public. Les financements de la bibliothèque proviennent des impôts du comté (1,9 millions de dollars) et de dons privés (500 000 dollars). Ce nouvel espace, également connu sous le nom de BiblioTech, ressemble à une boutique Apple aux teintes orangées et abrite dans ses murs 10.000 e-books, 500 e-readers, 48 ordinateurs et 20 iPads et ordinateurs portables. Il dispose d’un espace destiné aux enfants, de salles d’étude et d’un café Starbucks. Et surtout, il ne contiendra aucun support imprimé.

Ce n’est pas la première fois qu’une bibliothèque publique américaine tente de se délester du papier. En 2002, le réseau des bibliothèques publiques Tucson-Pima en Arizona a ouvert une succursale ne disposant d’aucun livre. Après quelques années, la bibliothèque a fini par en proposer de nouveau : les usagers ont exigé leur retour.« Je ne pense pas que les gens puissent vraiment imaginer une bibliothèque sans aucun livre », déclare Susan Mari, directrice de la bibliothèque de Santa Rosa. Pourtant, l’idée d’une bibliothèque sans livres ne semble plus si audacieuse aujourd’hui, compte tenu du passage progressif vers le tout numérique. En fin d’année 2012, 23 % des Américains âgés de 16 ans et plus lisaient des livres électroniques, soit 16 % de plus que l’année précédente, tandis que la proportion de ceux qui lisent des livres imprimés a baissé de 72 à 67 %, selon le Pew Research Center. Une bibliothèque entièrement numérique soulève cependant une question fondamentale : une bibliothèque sans livres reste-t-elle véritablement une bibliothèque ?

« La bibliothèque n’est plus un lieu où vous allez pour chercher des livres »,
explique Maureen Sullivan, le président de The American Library Association. « C’est maintenant un lieu qui frappe immédiatement par la diversité des usages qui en sont faits ». Dans tout le pays, plusieurs bibliothèques publiques ont subi des transformations radicales pour répondre aux besoins des usagers. Le déplacement et le renforcement des collections de livres ont permis d’introduire des espaces numériques qui peuvent facilement s’adapter aux nouvelles technologies.

YOUmedia, de la bibliothèque publique de Chicago, propose aux adolescents un espace où ils peuvent créer des contenus numériques tels que des podcasts et des jeux vidéo. Le réseau des bibliothèques publiques du district de Columbia et celui de Columbus Metropolitan dans l’Ohio sont en train de rénover plusieurs de leurs sites pour aménager des zones entièrement numériques et des open space permettant aux usagers de travailler ensemble. L’Université d’Arizona et le réseau des bibliothèques publiques de Scottsdale sont même en train de collaborer pour attirer les petites entreprises et les entrepreneurs afin que ces derniers travaillent pour les bibliothèques publiques de l’Etat.

Alors que beaucoup de bibliothèques se transforment en centres numériques interdisciplinaires, certaines essaient de plus en plus d’aider les américains à faible revenu, en particulier depuis le début de la récession économique. À New York, 40 des 62 bibliothèques du Queens ont été rénovées en partie pour faciliter les recherches des demandeurs d’emploi.« Vous ne pouvez plus trouver un emploi aujourd’hui sans avoir accès à un ordinateur », explique Tom Galante, le directeur de bibliothèque publique du Queens. « Or, un fort pourcentage de la population ici n’en possède pas. »

Quand Galante a commencé à travailler à la bibliothèque du Queens il y a 26 ans, 80% de l’énergie de la bibliothèque était mobilisée par le prêt de matériel aux usagers. Aujourd’hui, environ 30% de cette énergie est concentrée sur le prêt, et 70 % sur les programmes et les services, comme la rédaction de CV, les conseils en recherche d’emploi et les cours de langue. L’année dernière, la bibliothèque a inscrit 6.000 New-Yorkais dans des cours d’anglais, et selon l’American Library Association, les bibliothèques publiques offrent en moyenne un programme d’une journée pour chaque réseau de bibliothèques.Mais si la mauvaise santé de l’économie a accru le nombre de visites dans les bibliothèques publiques, elle a également provoqué une diminution des financements de l’Etat. De 2000 à 2010, la fréquentation des bibliothèques a augmenté de 32,7%, en partie en raison de l’afflux des usagers au cours de la récession ; mais le financement global des bibliothèques publiques n’a, lui, cessé de diminuer. En 2013, 37 % des bibliothèques ont connu une chute des financements de l’Etat, forçant les établissements à réduire leurs heures d’ouverture dans une trentaine d’Etats.

Le financement reste une préoccupation constante pour les bibliothèques, mais un obstacle s’est ajouté à court terme : le conflit qui les oppose aux éditeurs sur l’accès aux e-books. Le passage au numérique ne résout pas le manque de fonds. En effet, depuis plusieurs années, les six plus gros éditeurs des Etats-Unis, qui contrôlent et se partagent le marché (connus sous le nom des Big Six et regroupant Hachette, Macmillan, Penguin Group, HarperCollins, Random House et Simon & Schuster) ont soit été réticents à la vente de livres électroniques dans les bibliothèques, soit ont fait grimper leurs prix, ce qui rend pratiquement impossible à de nombreuses bibliothèques de proposer des bestsellers numériques.

L’inquiétude légitime des éditeurs.

Ces éditeurs sont inquiets sur le fait de vendre un produit qui n’aura jamais besoin d’être remplacé, et affirment qu’il est beaucoup plus facile pour les livres électroniques d’être partagés entre plusieurs succursales de la bibliothèque. À leur tour, les bibliothécaires contournent de plus en plus ces gros éditeurs pour se tourner vers les livres électroniques indépendants et autoédités à un coût beaucoup plus faible. Cependant, se passer des Big Six comporte des risques. Si les bibliothèques ne proposent pas les e-books que les usagers recherchent, elles peuvent entièrement décourager ceux-ci de venir.

Mais Wolff n’est pas trop inquiet à ce sujet. Ses 1,2 million de dollars de budget annuel vont lui permettre d’acheter 10.000 livres numériques supplémentaires chaque année, et il a même décidé de payer plus que ce qu’il ne fallait pour la plupart des e-books stockés dans la bibliothèque. Avec le temps, il ne doute pas que les bibliothèques et les éditeurs finiront par trouver un accord servant leurs intérêts respectifs. « Comme ce marché se développe, les prix vont diminuer », dit-il. Wolff espère également que BiblioTech permettra de combler la fracture numérique de la région. Selon un sondage réalisé par ESRI, une société d’analyse géospatiale, au moins un tiers des Texans vivant dans le comté de Bexar ne disposent pas de connexion internet à leur domicile.

Pourtant, ces évolutions audacieuses n’ont toujours pas convaincu Wolff d’acquérir un e-reader. Mais désormais, il bénéficie d’une option supplémentaire : « Je ne sais pas combien de temps je peux encore résister, dit-il, mais je pense qu’ils vont me laisser en emprunter un à la bibliothèque. »

** Source: La newsletter trimestrielle des Ambassades de France à New York et Ottawa.
sur les actualités récentes du livre numérique du marché nord-américain.

S’abonner à la newsletter MEDIAMERICA : http://mediamerica.org/paysage-audiovisuel/lecture-numerique/une-bibliotheque-100-numerique-ouvre-ses-portes-a-san-antonio/#sthash.qvhWxlrk.dpuf

Domoclick.com

Source en anglais:
http://nation.time.com/2013/09/13/a-bookless-library-opens-in-san-antonio/