Perçue longtemps comme une menace, la ressource en eau est aujourd’hui appréhendée comme une opportunité. La Randstad, aux Pays-Bas est aujourd’hui une région pilote pour le monde entier en matière de développement de solutions pour se protéger de la montée des eaux. Comment développer une agglomération durable ? Toutes les métropoles européennes vont faire face dans les années à venir à la complexification des questions de l’eau. Aussi bien la montée du niveau de la mer que la rareté de cette ressource dans les sous-sols. Les solutions purement techniques ne permettent plus de faire face, seules, à l’ampleur du phénomène. Elles doivent être prolongées par des politiques de gestion durable et amplifiées par la participation des usagers.
La région de la Randstad Holland avec le nouveau quartier d’Overhoeks, construit sur une friche industrielle et le projet de quartier d’Ijburg*** sont des sites exemplaires pour conquérir la mer dès 2015. Domoclick.com présente une enquête en 3 parties: ce premier sujet sur les solutions d’habitat aux Pays-Bas face à la montée des eaux, extraites du rapport d’information du Sénat* (2011). Deux autres sujets suivront courant février: Le document DICRIM sur les risques majeurs en zones inondables françaises et un palliatif typiquement Néerlandais et comparativement anecdotique; les maisons flottantes
L’innovation : une condition de survie
Pas seulement , le défi est global car les villes doivent s’adapter à la fois aux tendances de long terme liées au changement climatique et aux évènements extrêmes ponctuels tels que les inondations. Après des siècles d’entretien des terres pour les rendre cultivables, les Pays-Bas ont entamé une politique inverse qui consiste à transformer ces terres en lacs. Ils construisent des logements et des routes flottantes avec des jardins sur les toits : les « villes-bleues ». Ces villes, véritables communautés flottantes, visent à transformer une ville portuaire polluante, en dessous du niveau de la mer, en ville à énergie 0, qui ne consomme pas plus de CO2 qu’elle n’en produit.
Du remblais à « l’espace pour la rivière »
En quelques années, les Pays-Bas sont passés d’une stratégie de combat offensif contre l’eau (par la construction de digues et par la recherche de technologies de rétention d’eau, à une politique beaucoup plus intégratrice où l’eau est un élément déterminant du plan de développement. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, les Pays-Bas bétonnaient leur littoral et les îles éparpillées dans les embouchures du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut. La politique de lutte contre les effets négatifs de l’eau résidait principalement à rehausser le sommet des dunes pour qu’elles atteignent le niveau requis pour prévenir les inondations. Le site de Nieuwe Waterweg en est la démonstration exemplaire**.
Progressivement, et sous l’influence des écologistes, les digues ont laissé place à des barrages à vannes qui respectent le mouvement des marées. Un autre barrage mobile qui fonctionne comme une porte à deux battants a été installé non loin de Rotterdam.En 2000, le programme « Espace pour la rivière » a vu le jour autour d’une vision beaucoup plus intégrée de l’eau en ville. Les digues sont placées plus loin de la rivière et les rives inondables sont rabaissées afin de permettre au lit de la rivière de s’élargir. Un nouvel équilibre se crée entre les demandes en espace tout en laissant la place à l’amélioration de la sécurité, de l’architecture du paysage et de l’environnement de manière générale.
Alors que nombre de villes européennes se contentent de scenarii prospectifs, les Pays-Bas ont pris à bras le corps la question de la montée des eaux, liée au réchauffement climatique. Il est vrai que le pays est particulièrement concerné : « au-delà de trois mètres d’élévation du niveau de la mer, notre système actuel de protection actuel ne tiendrait pas1 ». Ainsi, à travers le Plan Delta 22, la province de Zélande a mis en place un plan circonstancié, chiffré et précis des conséquences du réchauffement climatique sur son territoire. Ce plan constitue un tournant dans la façon d’appréhender l’eau aux Pays-Bas. Désormais, les néerlandais construisent avec la nature, position à la fois pragmatique et relevant de l’écologisme le plus poussé. Pour obtenir ces résultats, les Pays-Bas et plus particulièrement la région de la Randstad ont mis en place une politique d’évaluation des risques et de la vulnérabilité, des outils de gestion performants et des analyses des contraintes financières des villes. Ici, la gestion de l’eau est une question de survie : le travail sur les digues et leur modernisation constitue une part importante du budget de l’Etat, qui n’a de cesse de réinjecter de l’argent dans ces infrastructures qui protègent la vie d’un habitant sur deux.
La région de la Randstad Holland : groupe constitué des Provinces Nord-Hollande, Sud-Hollande et d’Utrecht, des villes et des régions urbaines d’Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht, est marquée par une géographie qui la distingue des autres villes européennes. La présence de l’eau, tant par les fleuves qui traversent cette région que par la proximité avec la mer du Nord, a marqué profondément cette conurbation, aussi bien dans son aménagement urbain que dans ses formes de gouvernance. Dans la logique de « coopétition2 » que se livrent les villes, l’image est importante. La Randstad, « cœur administratif, culturel, social et économique des Pays-Bas », renforce une organisation historiquement établie autour de quatre grandes villes : La Haye, siège du gouvernement, Rotterdam, puissance industrialo portuaire, Amsterdam, lieu du commerce et de la culture, Utrecht, pôle universitaire.
Depuis toujours, l’eau représente pour ces villes un énorme potentiel dont la ville de Rotterdam a su profiter pour s’installer comme l’une des plus grandes puissances portuaires. Rotterdam est la porte d’entrée de l’Europe avec son port qui, tel un labyrinthe, s’étire sur près de 40 km. Le transport maritime est en crise mais Rotterdam possède des atouts : un chenal profond de 24m permet aux porte-containers du monde entier de pouvoir débarquer sans tenir compte des marées. Une fois à quai, des portiques géants viennent les délester et transportent les containers sur des chariots télécommandés qui circulent dans le port, sans chauffeur.
Aux Pays-Bas, la gestion de l’eau représente une lutte infinie contre un élément impétueux, qui a profondément marqué la manière de vivre de ses habitants. Perçue longtemps comme une menace, la ressource en eau est aujourd’hui également appréhendée comme une opportunité. La Randstad est aujourd’hui une région pilote pour le monde entier en matière de développement de solutions pour se protéger de la montée des eaux et pour apprendre à apprivoiser cet élément.A l’heure où la montée des océans et des mers inquiète, avoir un panorama des solutions déployées dans un pays où la lutte avec l’eau représente un enjeu de tous les instants paraît nécessaire afin d’appréhender le futur des « basses terres ».
1 Conurbation en néerlandais 2 Premiers auteurs à développer sur la notion de «coopétition, Barry Nalebuff et Adam Brandenburger (1996) ont utilisé ce néologisme pour associer l’idée de coopération à celle de compétition. Ce ne sont pas les premiers à suggérer que des alliances entre des concurrents puissent constituer un bon moyen d’accroître certains avantages communs; avant eux, Raymond Aron (1962) a décrit à l’ère nucléaire, comment les grandes puissances, «malgré leur rivalité, avaient intérêt à coopérer pour conforter l’ordre établi et empêcher l’émergence de puissances concurrentes».
La Randstad : une géographie, une histoire particulière et une approche intégrée du développement durable
Les Pays-Bas sont un pays plat à basse altitude. La région de la Randstad est très largement constituée de territoires marins qui ont été poldérisés 1. Sans les mécanismes de rétention d’eau mis en place depuis des siècles (digues, dunes, barrages, etc.), cette région serait totalement plongée sous les eaux de la mer du Nord. 35% de la surface des Pays-Bas est en dessous du niveau de la mer, dont la Randstad. Durant des siècles, le pays, grâce à des systèmes de digues et de polders a gagné du terrain sur la mer, mettant en évidence du foncier apprécié. Toutefois, cette lutte contre les éléments naturels ont connu des défaites, comme lors des inondations de la Sainte-Elizabeth en 1421 ou celles de 1953. Enfin le danger ne vient pas seulement de la mer ; le Rhin et la Meuse ont également inondé les terres comme en 1995 où 250 000 habitants ont du être évacués. Cette ressource est à la fois un adversaire redoutable et une manne économique importante : une grande partie de l’économie néerlandaise repose sur le transport, la navigation et les ports. Cette activité fait porter une pression énorme sur les territoires qui ont une approche beaucoup plus intégrée du développement durable que nombre de pays européens. La situation géographique si particulière de la région a également généré des trésors d’ingéniosité, d’inventions technologiques et d’organisation qui font des Pays-Bas un pays référent en matière de gestion de l’eau. De 1960 à 1983, la tendance impulsée par l’Etat néerlandais consistait à faire diminuer la concentration urbaine en créant des villes nouvelles isolées, puis des villes satellites. Cette politique a eu d’importantes répercussions sur le territoire: Amsterdam a connu une forte baisse de population (- 150 000 habitants entre 1965 et 19822). De plus, les grands centres urbains de la région ayant conservé les emplois, des mouvements pendulaires automobiles ont été de plus en plus fréquents, augmentant la pollution atmosphérique de cette zone. Toutefois à la fin des années 80, l’Etat néerlandais est intervenu pour inverser le mouvement et redonner toute sa force à la ville compacte (limitation des extensions urbaines, reconversion de friches urbaines, ré densification des centres, etc.).
1 Les polders sont des étendues artificielles de terre dont le niveau est inférieur à celui de la mer.
2 Métropoles européennes, Regards croisés, Paris Projet, Atelier parisien d’urbanisme, Paris 2008, p.16.
« La politique de ville compacte menée dans la Randstad est une des plus avancées dans le monde »1. Le Cœur vert, espace de respiration entre les quatre agglomérations, est un paysage vert irrigué par le delta. Toutefois, il soulève des enjeux liés à l’étalement urbain. S’il peut être appréhendé comme une ceinture verte protégeant les villes de toute expansion urbaine, il est aujourd’hui un obstacle à franchir pour relier les villes entre elles, nécessitant de ce fait un système de transport public performant. Par ailleurs, la ville d’Amsterdam mène une politique intensive de lutte contre le changement climatique à l’échelle de sa ville : interdiction des véhicules construits avant 1992 et à moteur diesel sans filtre, introduction de bus à hydrogène, filtres obligatoires, circulation à sens unique sur les grandes artères, parking de centre-ville à 5 euros de l’heure.En ce qui concerne le transport de marchandises, la ville d’Amsterdam a expérimenté le transport de conteneurs par tramway afin de décongestionner les axes routiers menant au centre-ville. En 2006, 60% des déplacements s’effectuaient déjà en vélo.
Une stratégie pour 2040 : une gouvernance économique
Alors qu’en Europe, la tendance est d’appréhender le développement des métropoles de façon polycentrique, les autorités de la Randstad cherchent plutôt à faire converger ses quatre agglomérations afin de «disposer d’avantages comparatifs fournis par les régions plus compactes : la masse critique, un marché du travail plus large et plus diversifié, sources de gain de productivité pour les entreprises confrontées à la concurrence internationale et à des marchés mondiaux très compétitifs ». Ainsi, autour des axes de stratégie à développer, la volonté de la Randstad est de créer une « Delta métropole », ensemble économique et résidentiel cohérent de grande dimension.La stratégie de la Randstad à l’horizon 2040 est à suivre sur le rapport rédigé par Pauline Malet page 337.
Domoclick.com
Source:
Page 329 du rapport sénatoriale « Villes du futur, futur des villes, Quel avenir pour les villes du monde ? »
par Pauline MALET, Jean-Pierre SUEUR, Sénateur (Tome II Analyses)
Avec la collaboration de Pierre Emmanuel BECHERAND, Amin MOGHADAM, Guillaume POIRET,Baptiste PRUDHOMME, Anne SOURCIS. Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juin 2011
RAPPORT D ́INFORMATION, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur les villes du futur, Par M. Jean-Pierre SUEUR,Sénateur.
http://www.senat.fr/rap/r10-594-2/r10-594-21.pdf
** Le Nieuwe Waterweg:
http://www.josstdevre.nl/
Quartiers durables aux Pays-Bas (15 pages):
http://www.ecoattitude.org/accueil/sites/default/files/article_final%20avec%20photos1.pdf
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Le projet Ijburg
En 2015, ce sont 72000 logements supplémentaires qui devraient être disponibles pour une population totale de 780 000 habitants. Ainsi, alors que le nouveau quartier d’Overhoeks est construit sur une friche industrielle et que Zuidas prend essor des deux côtés de l’autoroute A10 et des voies ferrées, le projet de quartier d’Ijburg vient conquérir la mer.
Le site d’Ijburg n’existait pas en 1995 : il est le produit de la main de l’homme, qui, par remblais successifs, a conquis ce territoire sur la mer. Il devrait accueillir en 2014, 18000 logements et environ 45000 habitants.